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Il était un foie

L’interdiction d’importer des produits issus du gavage d’animaux ainsi que les fourrures, s’inscrit dans une évolution des mentalités sur laquelle surfent deux initiatives populaires. Au détriment des arguments de la tradition et de la culture.

Ce n’est évidemment pas trop de saison. Le foie gras et la fourrure s’invitent pourtant à la grande table de l’actualité. La «faute» à deux initiatives populaires, tout justes validées par la Chancellerie fédérale, réclamant l’interdiction d’importer le foie gras, pour l’une, et les produits à base de fourrures, pour l’autre.

Si l’interdiction de la fourrure ne suscite pas trop de débats, la question du foie gras déchaîne déjà les passions alors que la récolte de signatures n’a pas encore commencée. Peut-être parce qu’il est plus fréquent de manger du foie gras que d’enfiler un manteau de vison. Peut-être aussi parce que s’il est possible sous certaines conditions et latitudes, de vivre sans se vêtir, il est en revanche impossible, sous toute espèce de conditions et en n’importe quel endroit, de vivre sans manger. L’assiette pèse plus lourd que la fripe.

Preuve que ces deux objets ne sont pas tout à fait ordinaires, les deux initiatives, émanant de l’Alliance Animale Suisse (AAS), transcendent les habituels clivages partisans, puisque dans les deux comités de soutien on retrouve aussi bien le conseiller aux Etats Thomas Minder (sans parti) que les conseillères nationales Doris Fiala (PLR) et Martina Munz (PS).

C’est avant tout à une «hypocrisie» que les initiants entendent s’attaquer: «Nous votons des lois qui interdisent la cruauté envers les animaux. Mais nous acceptons cette cruauté si elle est produite à l’étranger.» Le gavage est en effet interdit en Suisse depuis plus d’une quarantaine d’années, mais pas l’importation de foie gras obtenu par cette technique.

On pourrait rétorquer qu’il s’agit là d’un vieux et très humain principe: laisser les autres faire le sale boulot, sans en dédaigner les fruits, surtout s’ils se révèlent aussi goûteux. Relevons à cet égard que seuls cinq pays produisent encore du foie gras par gavage (France, Bulgarie, Hongrie, Espagne et Chine) mais que tous, ou quasi, en importent.

La partie de ping-pong a en tout cas déjà sérieusement débutée. A l’hypocrisie que dénoncent les initiants, le conseiller national PLR Jacques Bourgeois répond par une autre: «L’hypocrisie c’est de ne pas respecter la liberté de tout un chacun dans le choix alimentaire qu’il peut faire.» Et de plaider, plutôt que l’interdiction, pour une plus grande vigilance, en veillant «à une déclaration sans faille des méthodes de production interdites dans notre pays». Le même Jacques Bourgeois reproche aussi à l’initiative d’interdire toute espèce de foie gras alors qu’il existe une filière bio qui en produit sans recourir au gavage.

A quoi, sur les ondes de «Forum», sa collègue verte Valentine Python rétorque qu’il s’agit là d’une infime niche. Tout en opposant à la notion de tradition que revendiquent souvent les producteurs et les amateurs de foie gras, le fait que «la perception que nous avons de la dignité des animaux a beaucoup évoluée parce que la science, la neurobiologie, nous permettent de comprendre que les animaux y compris les canards et les oies ont des émotions et des sensations qui sont analogues à ceux de l’être humain».

Force est en effet de constater que les deux initiatives anti-foie gras et anti-fourrure viennent s’ajouter à celle contre l’élevage intensif sur laquelle nous voterons cet automne déjà. Valentine Python a ainsi beau jeu d’évoquer, à propos du gavage, un foie obtenu «en quelques semaines, un foie décuplé, un foie malade, un foie cirrhosé, des manipulations qui vont à l’encontre du respect et de la dignité de l’animal et s’apparentent à de la torture».

Impossible évidemment de répondre à de tels arguments sans prendre un minimum de hauteur. Les grands mangeurs de foie gras et fiers de l’être pourront toujours invoquer Manuel Vazquez Montalban, créateur du célèbre détective gastronome Pepe Carvalho: «Selon moi la cuisine est une métaphore de la culture. Manger, c’est tuer et ingurgiter un être qui a été vivant -animal ou plante. Si nous dévorions l’animal mort ou la laitue arrachée tels quels, d’aucuns diraient que nous sommes sauvages. Maintenant, si nous faisons mariner la bête en vue de l’accommoder plus tard avec des herbes de Provence et un verre de vin vieux, alors nous avons mis en œuvre une délicate opération culturelle, fondée à parts égales sur la brutalité et sur la mort.» Bon appétit.