CULTURE

Plateforme 10, ou quand la culture redessine la ville

Le quartier culturel Plateforme 10  ouvre ses portes. Le projet inaugure une profonde transformation de la capitale vaudoise.

C’est un mélange «d’exaltation et d’impatience» qui anime l’équipe de Plateforme 10 dans la dernière ligne droite avant l’inauguration officielle du nouveau pôle muséal lausannois. Il faut dire que l’événement concrétise plusieurs décennies de débats et près de six années de travaux pour donner vie à un nouvel espace dédié à la culture au cœur de Lausanne.

Regrouper sur un site unique des musées consacrés aux beaux-arts, à la photographie, aux arts textiles et au design, mais également deux restaurants et un café ainsi qu’une quinzaine d’arcades accueillant des boutiques, espaces d’exposition et artisans en résidence : voilà ce qui est prévu dans le périmètre de Plateforme 10.

Le projet évoque l’île des musées à Berlin ou le MuseumsQuartier de Vienne, à une échelle réduite (sa superficie atteint tout de même plus de 25 000 m2). Le projet est unique en son genre en Suisse ou en Europe. La création du pôle muséal s’accompagne en effet de la construction du nouveau quartier d’habitation de la Rasude (dont le chantier va débuter d’ici à 2025) ainsi que d’ambitieux travaux de transformation de la gare de Lausanne, qui se déploieront jusqu’en 2032.

De quoi métamorphoser profondément le visage de la capitale vaudoise. «La création d’un nouveau quartier en plein cœur d’une ville est quelque chose de singulier, surtout lorsqu’il intègre principalement une dimension culturelle, dit Patrick Gyger, directeur de Plateforme 10. Pour autant, cette inauguration marque seulement le début de l’aventure.»

Nouvelles synergies

La réunion du Musée cantonal des Beaux-Arts, de Photo Élysée et du mudac sur un seul site devrait en effet permettre de créer des synergies inédites en matière d’art. «Nous fourmillons d’idées pour créer des ponts entre les trois musées, explique Chantal Prod’Hom, directrice du mudac. Parfois, cela se fera par le petit accrochage d’une œuvre en rappel à une exposition ou une conférence. Cette transversalité sera par ailleurs facilitée par le fait que nous disposons d’équipements uniformisés, qu’il s’agisse des spots d’éclairage ou des parois mobiles.»

«Les trois institutions fonctionnent de façon distincte, mais notre ambition est d’instaurer un fort dialogue entre elles, de manière à créer des expositions qui se répondent l’une à l’autre, souligne Patrick Gyger. C’est une approche qui prend un sens tout particulier à une période où les musées se muent en acteurs sociaux, en s’emparant par exemple de débats de société comme la transition écologique.»

La mobilité douce et la création de nombreux espaces verts (sur plus de 4700 m2) tiennent une place importante dans le concept du quartier des arts. Celui-ci est accessible à pied en moins de trois minutes depuis la gare de Lausanne. De quoi profiter d’une visite avant d’embarquer pour de nouvelles destinations ou d’organiser facilement une excursion en terres lausannoises. La voie verte qui traverse le site crée par ailleurs un tracé inédit dans la ville et permet un accès facile à bicyclette, en cheminant entre les arcades et l’allée d’arbres, jusqu’à l’esplanade centrale. Le site intègre également plusieurs rappels à son passé ferroviaire, notamment une portion de la façade de l’ancienne halle dédiée au dépôt et à la réparation de trains, ainsi que la sculpture métallique Crocodile, inspirée de la célèbre locomotive éponyme.

Un, deux, trois musées

Plateforme 10 se compose de deux bâtiments principaux. Le premier, conçu par les architectes espagnols Fabrizio Barozzi et Alberto Veiga, accueille depuis fin 2019 le Musée cantonal des Beaux-Arts. La construction sur mesure a permis de tripler les espaces d’exposition, pour atteindre 3215 m2. Elle offre aussi des conditions optimales pour la conservation des 10 000 œuvres du MCBA, dont la plus importante collection publique de l’emblématique artiste vaudois Félix Vallotton.

Le second édifice réunit le musée cantonal pour la photographie Photo Élysée ainsi que le Musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains (mudac). Jusqu’ici installées  respectivement dans une maison de maître et dans la Maison Gaudard au pied de la Cathédrale, les deux institutions se partagent désormais un ouvrage conçu par les architectes portugais Francisco et Manuel Aires Mateus.

Le socle du bâtiment accueille Photo Élysée, consacré à la photographie sous toutes ses formes. «Les visiteurs vont pouvoir découvrir un impressionnant plateau d’exposition, divisé en différentes surfaces dédiées tant aux expositions temporaires qu’aux collections, indique Tatyana Franck, commissaire générale de l’exposition inaugurale et ex-directrice de Photo Élysée. S’y ajoute également un espace de médiation destiné aux familles, où jeunes et moins jeunes peuvent suivre le parcours d’une image, de la prise de vue jusqu’au tirage. La proposition est complétée par le LabÉlysée, un espace d’expérimentation dédié à la culture numérique.»

À l’étage, se trouve le Musée de design et d’arts appliqués contemporains (mudac). Celui-ci accueille notamment une importante collection d’art verrier, mais aussi des collections dédiées aux bijoux, à la céramique ainsi qu’une variété d’objets : mobilier, luminaires, ustensiles, textiles ou équipements high-tech. Le toit du bâtiment accueille des jardins et offre une vue imprenable sur la ville, le lac et les Alpes.

Facilité d’accès, billetterie attractive, y compris des offres combinées, et programme culturel vivant sont autant d’arguments séduisants. Le public a d’ailleurs répondu en nombre à l’occasion des portes ouvertes en novembre 2021, qui ont accueilli plus de 12 000 curieux. Gageons qu’ils seront d’autant plus nombreux dès cet été. Les trois institutions attiraient jusqu’ici un cumul de 100 000 personnes par an. D’ici à quelques années, la fréquentation pourrait grimper à 250 000 visiteurs annuels, de quoi placer l’offre lausannoise sur le podium suisse des musées.

«Le public visé va bien sûr au-delà de la Suisse romande, avec une attention particulière pour les pays limitrophes, précise Patrick Gyger. Toutefois, nous n’oublions ni les Suisses ni les Vaudois. Ce quartier n’est pas destiné à être uniquement une attraction touristique, il doit aussi parler à la population locale, qui doit le faire sien.» ■

EN CHIFFRES

3215 m2: La surface d’exposition du Musée cantonal des Beaux-Arts (soit 3x plus qu’auparavant)

1520 m²: La surface d’exposition de Photo Élysée

1580 m²: La surface d’exposition du mudac (soit 2x plus qu’auparavant)

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INVITATION AU VOYAGE

Le programme inaugural de Plateforme 10 est à découvrir jusqu’au 25 septembre. Il fait la part belle à l’imaginaire des chemins de fer.

Pour célébrer l’inauguration officielle de ce nouveau pôle culturel, les trois institutions ont préparé trois expositions reliées par la thématique des chemins de fer. Les acteurs de Plateforme 10 sont bien placés pour aborder le sujet, le nom du site étant une référence à la dixième voie qu’il occupe le long des rails ferroviaires.

«L’idée qui anime le programme inaugural est d’inviter le public au voyage, explique Patrick Gyger, directeur de Plateforme 10. C’est un hommage au nouveau quartier des arts de Lausanne et au bassin industriel de la ville. Mais le train possède une grande force évocatrice : progrès technique, départs, lieu de rencontres, nostalgie de temps révolus ou projection dans le futur.» Autant d’images qui alimentent les trois expositions inaugurales regroupées sous le titre Train. Zug. Treno. Tren, référence aux quatre langues nationales suisses. Chacune d’entre elles aborde le sujet par ses propres médias. «Ces différentes approches illustrent aussi notre envie de faire de Plateforme 10 un lieu de flânerie ou de rencontre avec l’art, qui accueille tant les Lausannois que les visiteurs de passage pour partager des expériences nouvelles.»

Trois musées, trois histoires

Pour l’inauguration de Plateforme 10, le MCBA a conçu une exposition intitulée Voyages imaginaires. L’occasion de découvrir près d’une soixantaine d’œuvres signées Edward Hopper, Paul Delvaux, Leonor Fini ou Giorgio De Chirico. Pendant ce temps, les visiteurs ont également la possibilité de se rendre à la rétrospective Accusé de peindre consacrée au peintre et dessinateur Gustave Buchet. Celle-ci réunit plus de 90 œuvres qui illustrent notamment les ambitions modernistes de cet artiste vaudois de renom.

Le projet de Photo Élysée pour l’exposition inaugurale s’appelle Destins croisés. «Le titre fait référence au développement simultané de la photographie, du cinéma et des chemins de fer», indique Tatyana Franck. Et de rappeler que l’un des tout premiers films de l’histoire, réalisé en 1895 par les frères Lumière, s’intitule L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat. Ce dernier est d’ailleurs visible lors de l’une des premières des quinze «étapes» de l’expo, qui abordent des thématiques liées à la gare, au train, au wagon, au rail, à l’expérience du voyage ou à la vie des chemins de fer. On peut y admirer tant des affiches du début du XXe siècle que des oeuvres de Pablo Picasso ou de Nan Goldin.

La proposition du mudac est pour sa part baptisée Rencontrons-nous à la gare. «Nous avons voulu raconter comment les gares sont devenues des espaces de rencontre, mais aussi des espaces propices à l’imagination au fur et à mesure du développement technique et urbanistique, dit Chantal Prod’Hom. Les visiteurs vont ainsi pouvoir déambuler entre des œuvres telles que des affiches, des publicités ou des clips vidéo et des objets design en lien avec l’univers ferroviaire d’ici et d’ailleurs.» La fête d’inauguration donne également lieu à l’exposition Écouter la Terre consacrée à la nature et aux préoccupations environnementales. «C’est l’occasion de découvrir de nombreuses nouvelles acquisitions des collections de notre musée, tout en développant une réflexion autour du développement durable, des circuits courts ou des matériaux utilisés par ces objets. Une quarantaine d’œuvres grand format vont permettre de traiter ces questions de manière très concrète.»

DATES

15-17 juin 2022: Inauguration officielle et avant-première

18-19 juin 2022: Inauguration publique

18 juin – 25 septembre 2022: Expositions «Train.Zug.Treno.Tren»

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (n° 9).