On le regardait un peu comme on regarde ces enfants gâtés dans les magasins de jouets. «Mais que va-t-il donc choisir?» L’opérateur national, des milliards plein les poches, allait-il racheter un concurrent? Se développer à l’étranger?
La création discrète de Swisscom Eurospot, la semaine passée, donne enfin une piste sur la stratégie d’expansion du groupe.
Basée à Genève, cette nouvelle filiale proposera dans toute l’Europe des points d’accès permettant de se brancher sur le net à haut débit, sans fil et sans passer par un réseau de téléphonie mobile.
Swisscom entend ainsi devenir le pionnier d’une technologie prometteuse, celle des réseaux sans fil à courtes distances baptisée Wifi, ou Wireless LAN.
La vitesse de transmission théorique d’un tel réseau atteint 11 Mbps dans un rayon de 10 à 100 mètres de l’émetteur. Dans la pratique, elle s’apparente à celle d’une ligne ADSL de 256 kbps.
Un débit révolutionnaire pour le voyageur, habitué jusqu’ici à des connexions bien plus lentes avec son téléphone mobile, y compris avec la technologie GPRS qui plafonne sur le terrain autour des 56 kbps.
Eurospot est le résultat du rachat par Swisscom de deux acteurs importants du secteur, l’anglais Megabeam – numéro un européen – et WLAN, leader en Allemagne.
«Nous visons exclusivement la clientèle d’affaires, et nous installerons donc des connexions dans les aéroports, les hôtels ou les centres de conférences, détaille Frédéric Gastaldo, directeur d’Eurospot. Notre ambition: devenir le numéro un européen dans ce créneau de marché.»
Pour y parvenir, la nouvelle société entend installer 8’000 points d’accès Wifi – appelés hotspots – en Europe d’ici à quatre ans. Du pain sur la planche, puisqu’elle n’en possède que 400 pour l’instant.
«L’installation d’un hotspot coûte entre 4000 francs, pour un point isolé, et 40 000 francs pour équiper tout un hôtel. Nous allons investir plusieurs dizaines de millions de francs dans l’installation de nouveaux hotspots en Europe.»
Pour transmettre les données, le Wifi utilise des fréquences en ondes ultracourtes qui ne sont pas réglementées et peuvent donc s’exploiter sans licence.
Pour monter un hotspot, le premier arrivé peut se servir. Tous les opérateurs convoitent les mêmes endroits, ceux où la densité d’hommes d’affaires est la plus haute. Mais, contrairement au monde du téléphone mobile, deux réseaux Wifi ne peuvent cohabiter sans se perturber, car ils exploitent la même gamme de fréquences.
«Nous travaillons comme des fous pour occuper le terrain, installer un maximum de hotspots en un minimum de temps. D’ici à la fin de l’année, il faut que nous puissions les compter en milliers.»
Outre l’Allemagne et la Grande-Bretagne, Eurospot est aussi présente en Irlande, en France, en Italie, en Espagne et au Benelux. Curieusement, la société sera absente du marché suisse. «Le Wifi en Suisse est déjà proposé par Swisscom Mobile. Notre mission consiste à développer l’activité du groupe à l’étranger.»
Il y a aussi un autre problème: l’anglais Vodaphone, actionnaire de Swisscom Mobile, développe aussi des activités Wifi, notamment en Allemagne, à travers sa filiale D2. C’est ce qui explique par ailleurs qu’Eurospot soit une filiale de Swisscom, et non de Swisscom Mobile. Sinon, la filiale aurait été en concurrence avec l’un de ses actionnaires sur le marché allemand. Un accord de roaming permettra cependant aux abonnés suisses d’utiliser l’infrastructure d’Eurospot.
La technologie Wifi se standardise rapidement. Intel vient notamment d’annoncer le développement d’une nouvelle puce, appelée Centrino, qui en intègre directement les fonctionnalités (lire notre article du 18 mars 2003).
De plus en plus, les ordinateurs portables – et même certains assistants électroniques – sont vendus directement équipés d’un connecteur Wifi (qui coûte environ 120 francs.).
Concrètement, pour se brancher sur un réseau Wifi, l’usager doit acquérir une carte à prépaiement, qui contient un code permettant d’accéder au réseau. Il est ensuite facturé à la minute ou par forfait (une heure ou deux de communication). En Suisse, Swisscom facture 90 centimes par minute dans ses 300 points de connexion – baptisés «Hotspots» – situés dans les aéroports, les gares et une sélection d’hôtels.
Pour l’instant, Eurospot propose un forfait pour deux heures à 13 francs, l’autre pour vingt-quatre heures à 50 francs. Dans quelques jours, l’entreprise présentera un système de facturation à la minute. Seront-ils moins chers? «Le tarif de 90 centimes la minute est dans la fourchette européenne, dit seulement le directeur. Comme tous les services télécoms, les prix baisseront dans un deuxième temps. Nous n’en sommes qu’au balbutiement du Wifi.»
En se développant sur ce nouveau créneau, Swisscom fait preuve d’anticipation, ce que saluent les analystes. «C’est une bonne stratégie, car le Wifi est un marché prometteur, dit Serge Zancanella, de la Banque Bordier & Cie. Cela permettra de compenser la baisse de croissance dans la téléphonie fixe et mobile en Suisse. Comme de nombreux autres opérateurs n’ont pas les moyens de se développer dans ce genre de technologie, Swisscom a raison d’occuper le terrain.»
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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 23 mars 2003 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.