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Le marché très convoité des écoles privées

De nombreuses écoles privées de Suisse romande, familiales à l’origine, ont été rachetées par de grands groupes internationaux. En cause: la concurrence accrue en matière d’offres, d’infrastructures, et les problèmes de succession de ces entreprises familiales.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

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«La Suisse bénéficie d’une tradition d’excellence en matière d’éducation. Dès les années 1950, les grandes familles du monde ont envoyé leurs enfants dans les écoles internationales du pays.» Pour Norbert Foerster, co-président de la Fédération suisse des écoles privées -organisme qui assure un rôle de représentation et de défense des intérêts des écoles privées auprès des autorités fédérales-, l’attractivité éducative de la Suisse est une évidence. Mais depuis quelques années, les établissements familiaux vivent une mutation: de grands groupes étrangers rachètent les écoles pour développer leurs activités sur le territoire. Pour Jérôme de Meyer, ancien directeur de l’école Beau Soleil à Villars-sur-Ollon (VD), «nous sommes aux prémices de modifications profondes sur le marché des écoles qui n’est que partiellement consolidé. L’éducation, tout comme la santé ou l’environnement, représente un investissement éthique, ce qui est dans l’ère du temps. Enfin, aujourd’hui, le marché du travail recherche des profils atypiques. Dans ce contexte, les activités extrascolaires et les expériences pratiques, que proposent les écoles privées, peuvent faire la différence.»

Privé versus public

Les écoles privées représentent 13% de tous les établissements scolaires suisses en 2021, et un tiers d’entre elles (35%) sont subventionnées par les pouvoir publics, dit l’Office fédéral de la statistique (OFS). Le pays compte plus de 1200 écoles privées, dont la moitié, tous degrés de formation confondus, se situent dans les cantons de Berne, Vaud et Zurich.

Pour Alain Moser, directeur de l’école Moser à Genève, les autorités suisses devraient mieux traiter les écoles privées. «C’est le seul pays au monde où l’écolage privé ne peut pas être déduit des impôts. Notre pays doit prendre en compte l’impact social et économique des écoles privées sur la société, puisque c’est aussi grâce à nos cursus que nous attirons des familles et des entreprises dans la région.»

Alain Moser a repris en 2001 l’école qu’avait fondée son père 40 ans plus tôt. Premier établissement romand à proposer la maturité en français et allemand, l’école Moser accueille plus de 1500 élèves de la 5e primaire jusqu’au secondaire, dans ses campus de Genève, Nyon et Berlin pour des frais de scolarité oscillant autour de 25’000 francs par année. L’entreprise compte 250 employés et réalise un chiffre d’affaires annuel de plus de 30 millions de francs. L’école Moser vise aujourd’hui à agrandir ses locaux de Nyon et de Berlin, notamment parce ce qu’elle enregistre un surplus de demandes par rapport à ses capacités d’accueil: il faut aujourd’hui patienter deux ans sur liste d’attente avant de pouvoir intégrer l’école.

Une féroce compétition

En 1991, Jérôme de Meyer a repris la direction du collège Beau Soleil qui appartenait à son père en rachetant les parts de ses frères et sœurs. À l’âge de 27 ans, il dirige ainsi l’une des écoles privées les plus réputées de Suisse romande, avec un internat de 260 élèves au frais d’écolage s’élevant à plus de 150’000 francs par année. En 2010, Jérôme de Meyer cède la gestion de son école au groupe anglais Nord Anglia Education et signe avec eux un contrat de location de son école d’une durée de 25 ans. Le groupe compte aujourd’hui 77 écoles dans 31 pays. En Suisse, il détient le Collège du Léman, l’école Champittet à Genève et à Pully (VD), La Côte International School à Aubonne (VD) et le collège alpin Beau Soleil à Villars (VD). Pour Jérôme de Meyer, faire partie d’un groupe international permet des synergies intéressantes et des économies d’échelles. «Nous bénéficions de la mobilité de nos professeurs, et l’envergure du groupe apporte de plus grandes ressources, ce qui permet de conclure des partenariats avec par exemple le réputé “Massachusetts Institute of Technology” (MIT), la célèbre Juilliard School de New York (école d’art et de musique) ou encore l’Unicef pour les activités extra-scolaires. L’inconvénient en revanche, c’est que la marge de manœuvre du directeur de l’école est plus limitée puisqu’elle est encadrée et soumise à plus d’inertie.»

Pour Norbert Foerster, une des raisons principales des rachats des écoles privées est l’attrait de la Suisse sur le plan international: «Les grands groupes cherchent à s’implanter sur le territoire parce qu’il est devenu essentiel pour elles de proposer la Suisse dans leur catalogue d’écoles. Je regrette que les écoles familiales disparaissent, mais la concurrence et les exigences s’accroissent, notamment en matière d’infrastructure, ce qui complique la survie des petites structures.» Pour Jérôme de Meyer, désormais président de la section suisse de Nord Anglia Education, il est néanmoins essentiel que les groupes acquéreurs laissent à l’école rachetée son identité, son équipe de direction et dédient une longue période dédiée à l’observation des pratiques en place.

L’enjeu de la succession

Régulièrement approché par de grandes sociétés internationales avec des propositions d’achats, Alain Moser refuse pour sa part de vendre, afin de rester autonome dans ses décisions. «Les grands groupes cherchent surtout à se faire de l’argent, ils ne valorisent pas l’éducation. Ces rachats font perdre leur âme aux écoles suisses.»

Le difficile maintien du modèle de l’école familiale -qui souffre de la question de la transmission comme d’autres domaines–, constitue la seconde grande raison des rachats successifs dans ce secteur pour Norbert Foerster. «Je regrette qu’aucun de mes enfants n’ai voulu reprendre l’école, déplore Jérôme de Meyer. La question de la succession et la volonté d’assurer une école pérenne sont les deux éléments principaux qui motivent les écoles familiales à intégrer un groupe.» Alain Moser espère lui aussi pouvoir garder l’affaire familiale: «J’espère que mes filles vont reprendre le flambeau, mais dans le cas où elles ne le souhaiteraient pas, j’œuvre à ce qu’au minimum elles puissent garder le contrôle de l’école.»