La Yougoslavie, c’est fini! En début de semaine, son dernier président, Vojislav Kostunica, a remis sa démission pour laisser place à Svetozar Marovic qui devient le premier président de la Serbie-Monténégro.
D’un point de vue géopolitique l’Europe sans la Yougoslavie, c’est vraiment le XXIe siècle qui commence. Le XXe européen avait commencé en 1912-1913 avec les guerres balkaniques qui visaient justement à créer la Yougoslavie, soit le regroupement des Slaves du sud en un seul Etat en les extrayant de l’orbite des empires austro-autrichien et ottoman.
Le moins que l’on puisse dire aujourd’hui après un siècle de crises, de guerres, de tueries atroces est que cela n’a pas marché, à l’exception de la période titiste (1945-1980) où la Yougoslavie connut à la fois une paix intérieure doublée d’une certaine aisance et un rayonnement international extraordinaire comme leader du Tiers-Monde et des pays non-alignés sur Moscou, Pékin et Washington. (Je me souviens encore avec émotion de cette vieille dame de Sibenic gémissant en été 1981 avec une rare claivoyance: «Tito est mort, il n’y a plus de café, mon Dieu, nous allons vers la catastrophe!»)
La chute est dure et je me demande ce que peuvent bien ruminer derrière leurs barreaux hollandais des têtes aussi dures que celles des Milosevic, Plavsic et autres Seselj maintenant qu’elles ont le silence de la prison pour évaluer l’étendue du désastre qu’elles ont causé.
La chute est dure aussi pour les Serbes dont on a détruit les infrastructures du pays pour éviter qu’ils aillent eux-mêmes semer la mort chez leurs voisins. Dure aussi pour les Bosniaques, quel que soit leur camp, dont le pays n’est pas seulement détruit mais ravagé, où chacun vit avec ses rancœurs, dans l’oubli ceux de qui hier encore leur promettaient monts et merveilles au lendemain de la paix. Dure encore pour les Macédoniens qui se sont laissé entraîner à un nationalisme paroxystique avant de devoir y renoncer sous la pression internationale.
Le rêve de l’unification des Slaves du sud a finalement tourné à la formation d’une mosaïque de petits Etats dont on ne pouvait guère présager l’apparition vers 1900: Bulgarie (c’est le plus ancien, mais en modèle réduit par rapport aux aspirations bulgares d’il y a un siècle), Slovénie (le plus «occidentalisé» en raison de son homogénéité et de sa séculaire appartenance à la mouvance des Habsbourg), Serbie, Croatie, Bosnie-Herzégovine (elle-même divisée en République serbe et en Fédération croato-musulmane), Macédoine.
Deux autres sont en attente, mais on ne court pas grand risque à parier sur leur indépendance future: le Monténégro qui votera dans trois ans sur son indépendance et le Kosovo dont l’avenir dépend de l’ONU. Est-ce à dire que la paix règne? Certainement pas. La question bosniaque – c’est le cœur de la péninsule – n’est pas résolue, les populations, surtout dans les campagnes, ne sont pas apaisées et rêvent toujours d’un avenir différent de celui que leur impose la communauté internationale.
Une chose est certaine en ces jours où George W. Bush menace l’Irak d’une mauvaise guerre qui l’oppose au reste de la planète, l’intervention militaire de l’OTAN dans les guerres yougoslaves en 1999 a, quant à elle, eu un effet positif quoi qu’en disent les victimes serbes et leur amis d’ailleurs – Jean-François Kahn par exemple qui dans Marianne de cette semaine persiste à condamner le rôle américain dans l’affaire.
Il est évident que l’aviation de l’OTAN a frappé très fort, commettant des dégâts dont le pays ne s’est pas encore relevé. Mais – il faut être hélas crûment réaliste – quel est le poids de ces dégâts par rapport au l’extension prévisible du conflit aux autres Etats de la péninsule, la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie?
Dès le début de la guerre yougoslave, en 1991, les Etats-Unis, conscients de cette menace, ont verrouillé (avec leurs propres troupes!) la Macédoine, clé de voûte de l’ensemble de l’édifice balkanique. Quand Milosevic, malgré les avertissements multiples, s’est approché trop près de la Macédoine, il s’est fait écrabouiller. Du coup la guerre a cessé. Que ses plaies soient encore béantes, est une évidence. Comme il est évident que l’on a échappé à un désastre encore pire.