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Les Bisounours ne lâchent rien

Guerre en Ukraine ou pas, les vieux réflexes demeurent. Acheter un avion américain? Vous n’y pensez pas!

Elle aurait tort de se gêner, la cheffe du Département fédéral de la défense, Viola Amherd. Contre tous les usages, elle a ainsi suggéré aux initiants du référendum s’opposant à l’achat des F-35 américains de retirer leur texte, situation internationale explosive oblige.

Contre tous les usages, parce que cette demande remet en question les droits fondamentaux garantis par la démocratie directe. Qu’une Conseillère fédérale se soit permise de risquer une telle atteinte suggère que l’invasion russe de l’Ukraine, parmi tant d’effets collatéraux, aura celui de rendre plus difficile chez nous la tenue des habituels discours pacifistes et anti-armée, façon Bisounours ou Lou ravi.

Certes le péché originel dans cette affaire revient au Conseil fédéral qui a jugé malin de faire voter le peuple sur cet achat d’avions de combat avant de choisir quel modèle serait retenu. Le choix très controversé, ensuite, de l’appareil américain, s’est révélé du pain béni pour une certaine partie de la gauche. Un avion américain, vous n’y pensez pas! L’hostilité pour ne pas dire la haine des États-Unis n’est en effet pas l’apanage du seul Poutine: c’est aussi un sentiment très partagé sous nos latitudes.

N’a-t-on pas vu pendant quatre ans les progressistes d’ici et d’ailleurs s’effarer non pas de l’agressivité croissante du maître du Kremlin mais des frasques du clown Trump? Avec en apothéose l’assaut contre le Capitole, le 6 janvier 2021, présenté comme le coup d’État du siècle, la plus grande menace ayant jamais pesé sur la démocratie. Voilà qui peut sembler dérisoire, aujourd’hui que l’on voit en Ukraine ce que peut être une véritable attaque contre une démocratie.

Pourtant, cela ne semble pas encore assez pour émousser les vieux réflexes du monde d’avant. Le conseiller national vert Fabien Fivaz continue par exemple de ne pas voir à quoi pourrait bien servir des dépenses militaires supplémentaires: «Si Viola Amherd veut 2 milliards de plus pour l’armée, il faut qu’elle nous dise pourquoi.»

Plus fort encore, la députée socialiste genevoise Amanda Gavilanes, membre par ailleurs du Groupement pour une Suisse sans armée (GSSA) s’effraie, dans les colonnes du «Temps», d’un «emballement militariste généralisé», chez nous, et diagnostique «un réflexe de peur», n’approuvant des dépenses militaires supplémentaires que «pour remettre aux normes les abris de la protection civile». Pas question donc de «signer un blanc-seing à l’armée».

Ce qui n’empêche pas Viola Amherd d’aligner quelques approximations: «La Suisse est certes un pays neutre, mais elle est également un pays souverain qui ne pourra pas compter sur les autres en cas d’attaque.» Tellement neutre, la Suisse qu’elle a été très logiquement placée par la Russie sur la liste des pays dits «inamicaux».

La cheffe du Département de la Défense affirme aussi que la Suisse ne doit en aucun cas rejoindre l’Otan, car cela romprait avec sa politique de sécurité et coûterait un méchant saladier, puisqu’il faudrait faire passer le budget militaire de 0,7 % du PIB -comme l’Ukraine tiens, tiens-, à 2%.

Cette position n’est pas sans paradoxe. Chez nos voisins, l’ancien président français François Hollande a rétorqué à un Jean-Luc Mélenchon soutenant que la France devait se positionner entre la Russie et l’Otan, au sein de nouvelles alliances: «Avec qui? Le Venezuela et la Corée du Nord?»

Devant la complexité de ces question on peut, comme le très russophile ancien président du Club Suisse de la presse, Guy Mettan, pleurnicher sur la dureté des temps: «Dès qu’on prend des positions qui ne sont pas de la haine anti-russe immédiate, on se fait harceler constamment.» On peut aussi se poser sincèrement la question: la démocratie est-elle un système suffisamment précieux pour être défendu les armes à la main?

Les Ukrainiens semblent avoir une idée assez précise sur la question.