LATITUDES

Cheveux, poils et ongles en disent long sur notre santé

Les laboratoires d’analyse médicale ne se limitent plus aux seules prises de sang. L’examen d’autres parties du corps permettent des diagnostics toujours plus précis.

Tous·tes les patient·e·s le savent : lorsqu’on prend le chemin du laboratoire d’analyse médicale, c’est le plus souvent pour y effectuer une prise de sang ou un don d’urine. Ces substances contiennent en effet plus de mille marqueurs distincts, tels que des toxines, des protéines ou des hormones.

Ces tests in vitro comptent parmi les outils les plus utiles aux professionnels de santé : 70% des décisions médicales nécessitent le recours à ce type d’examen. Mais praticien·ne·s et biologistes se tournent désormais de plus en plus fréquemment vers d’autres substances corporelles : sueur, larmes et salive en disent long sur notre état de santé, tout comme nos cheveux, nos ongles ou nos poils – les phanères, en langage médical.

Cet intérêt nouveau s’explique de plusieurs façons. À commencer par le fait que les tests sanguins ou urinaires présentent des limites : riche en sels et en cristaux, l’urine a tendance à compliquer le repérage de certains biomarqueurs protéiques. Dans le sang, c’est l’albumine qui peut masquer d’autres indicateurs prépondérants. Autre frein, « l’une et l’autre substances ont tendance à se renouveler trop rapidement pour permettre le repérage dans la durée de certains composés chimiques », explique Olivier Gaide, médecin-chef  au sein du Service de dermatologie et vénéréologie du CHUV. Des éléments qui se retrouvent bien plus longtemps dans d’autres parties du corps. Ainsi, un ongle met six mois à une année pour se renouveler entièrement.

Facile et sans douleur

Au quotidien, l’analyse de nos phanères (ongles, cheveux, poils) ou de nos liquides corporels présente un autre intérêt: le prélèvement de l’échantillon nécessaire est en général plus rapide, plus facile et moins douloureux qu’une phlébotomie – soit le nom savant de la prise de sang. La règle n’est pas absolue

Celles et ceux qui ont subi l’un des fameux tests nasopharyngés courants depuis le début de la pandémie de Covid-19 savent que tous les prélèvements biologiques ne sont pas une partie de plaisir. Seule solution disponible pendant plusieurs mois, cette technique suppose d’enfoncer un écouvillon jusqu’au nasopharynx avant de lui imprimer une rotation destinée à recueillir suffisamment de cellules pour permettre un test PCR ou antigénique.

Reste que dans bien des cas, les alternatives aux prélèvements sanguins classiques sont moins douloureuses, plus rapides et plus simples, souligne Olivier Gaide: «Une prise de sang est un geste invasif certes léger, mais qui rebute certain·e·s patient·e·s. Elles et ils préfèrent largement fournir des éléments biologiques qui se donnent ou se prélèvent sans douleur. Recueillir de la salive, du liquide lacrymal, des poils, des cheveux ou des ongles s’avère bien plus facile.» Ces examens alternatifs présentent également un potentiel d’économie pour les systèmes de soin. «Procéder à une prise de sang représente un certain coût et prend du temps. Il faut prévoir un local calme et isolé, utiliser du désinfectant et du matériel de phlébotomie, mobiliser du personnel… En revanche, mettre de la salive dans un tube ou couper quelques cheveux ne nécessite pas de compétences particulières.»

Cette facilité de prélèvement lève un grand nombre de contraintes, d’autant que les dispositifs médicaux ne cessent de progresser, ajoute Olivier Gaide en citant le cas de patient·e·s atteint·e·s de diabète : « Les nouveaux capteurs de glycémie permettent d’éviter des prises de sang répétitives et douloureuses. Les patient·e·s peuvent analyser leur glycémie toutes les quinze ou trente minutes grâce à un simple patch doté d’une microaiguille, et donc adapter au plus juste leur prise d’insuline.

Cheveux contre champignons

Ongles et cheveux concentrent plus particulièrement l’attention d’Olivier Gaide. «Les phanères sont utiles pour repérer les agents infectieux qui s’attaquent à l’ongle ou au système pileux des malades.» On cumule plusieurs techniques, des plus simples aux plus complexes pour identifier mycoses, moisissures ou levures. « Le premier examen est indolore et très rapide. Nous prélevons des cheveux pour rechercher différents types de champignons, soit en partie, soit en les arrachant à la racine pour examiner leur bulbe. Nous analysons aussi régulièrement des fragments d’ongles en les observant au microscope et en leur appliquant au besoin différentes solutions de coloration pour mettre en évidence tel ou tel parasite. » Lorsque c’est nécessaire, une troisième phase d’analyse consiste à placer le fragment en culture pendant quelques jours avant de pratiquer un examen biologique moléculaire capable de détecter l’ADN d’un élément pathogène.

Transpirer, c’est la santé

Étudier les fluides biologiques ou les matières corporelles n’est pas nouveau en soi : dès l’Antiquité, les médecins examinaient les selles ou l’urine de leurs patient·e·s. Au Moyen Âge, on parle du « baiser salé », en référence au goût de la peau de certains nourrissons. Si on en ignorait alors l’origine, ce trouble de la sudation, qui peut indiquer une mucoviscidose, est toujours couramment pratiqué au CHUV aujourd’hui. «Nous récoltons une petite quantité de sueur dans un dispositif placé sur l’avant-bras des enfants, après stimulation de la transpiration. La mesure des quantités de sel et de chlore permet de poser ou d’exclure la plupart du temps le diagnostic.»

Les tests salivaires sont un autre outil précieux pour les professionnel·le·s de santé. Les dentistes en analysent ainsi l’acidité et la composition pour prévenir l’apparition de caries ou de plaque bactérienne. Facile à recueillir, la salive n’expose pas les professionnel·le·s aux maladies transmissibles par le sang, ne coagule pas et contient plus de 1000 protéines et des molécules d’ARN.

Ce que disent les larmes

Au même titre que la sueur, les larmes font partie des fluides les plus prometteurs en termes de recherche. Les études cliniques en cours laissent penser que les biomarqueurs protéiques ou les parasites présents dans le liquide lacrymal permettront d’ici à quelques années de détecter une infection virale, d’identifier des risques d’AVC ou de faciliter le suivi de maladies comme la sclérose en plaques, sans recourir à des examens plus lourds comme les ponctions lombaires.

Précieuses pour les patient·e·s, les analyses pratiquées sur les phanères et les liquides corporels laissent entrevoir à terme un repérage toujours plus fin et plus précoce d’une vaste gamme de biomarqueurs, dès les premiers stades de différentes maladies. De quoi fournir de nouvelles armes aux médecins.

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Les promesses de la transplantation fécale

L’analyse des selles permet de dépister des maladies, mais aussi de restaurer la flore bactérienne des patient·e·s pour guérir différentes pathologies. Ouvert en 2019, le centre du CHUV dédié à la transplantation fécale s’intéresse à cette technique destinée aux patient·e·s touché·e·s par une infection due à un bacille, le Clostridioides difficile, qui cause de fortes diarrhées et colites. Principalement délivré sous forme de gélules, le traitement présente des résultats spectaculaires. «La transplantation fécale (TMF) permet de traiter avec succès 80% à 90% des patient·e·s, alors que les antibiotiques classiques sont efficaces dans 20 à 30% des cas », explique Tatiana Galperine, cheffe de clinique et responsable de la création du Centre de transplantation de microbiote fécal du CHUV. Ce médicament fait actuellement l’objet d’une autorisation de mise sur le marché simplifiée auprès de Swissmedic. Mais il permet déjà de soigner chaque année une trentaine de patient·e·s pris en charge au CHUV.

«Notre travail consiste aussi à sélectionner les donneur·euse·s au terme d’un processus particulièrement strict, indique Tatiana Galperine. Vient ensuite la production du médicament lui-même, en collaboration avec les services des maladies infectieuses.» Enfin, d’autres activités relèvent cette fois de la recherche, notamment en lien avec le Service d’oncologie. «Plusieurs études tendent à démontrer que la TMF améliorerait la tolérance des patient·e·s face à certaines chimiothérapies ou immunothérapies sur le plan digestif. Il semble également qu’elle favorise la réponse à ces traitements en modulant le microbiote intestinal.» La TMF n’a pas dit son dernier mot.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 24).

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