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Savez-vous prendre vos médicaments?

Les effets secondaires des traitements sont souvent méconnus. Plusieurs études menées au CHUV fournissent des pistes pour améliorer la situation.

Près d’une personne sur deux en Suisse consomme des médicaments chaque semaine. Ce rapport, issu d’une enquête sur le sujet menée par l’Office fédéral de la statistique (OFS) auprès de la population de 15 ans et plus, montre une progression de plus de 30% depuis les années 1990. Parmi les substances les plus fréquemment consommées au cours des sept jours précédant le sondage, on compte les antidouleurs (24% des répondant·e·s), les antihypertenseurs (16%), les traitements contre le cholestérol (8%) et ceux pour le cœur (7%). Somnifères, tranquillisants et antidépresseurs complètent ce classement. L’étude de l’OFS indique aussi que les femmes prennent plus souvent des médicaments que les hommes (55% contre 45%). Enfin, la part des personnes consommant des médicaments progresse avec l’âge, pour atteindre 84% chez les personnes âgées de 75 ans et plus.

Des chiffres qui interrogent sur les connaissances des patient·e·s concernant les substances qu’ils·elles absorbent. Plusieurs études indiquent en effet que les doses de médicaments sont parfois administrées de façon imprécise, en particulier chez les enfants et les personnes âgées. D’autant plus qu’un nombre important de patient·e·s ignore les effets secondaires principaux des pilules et cachets qu’elles et ils ingurgitent.

Compétences du·de la patient·e

Ces questions animent aussi Jenny Gentizon, candidate au doctorat en sciences infirmières de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne (UNIL). L’infirmière de formation a co-supervisé  plusieurs études sur le sujet et prépare aujourd’hui une thèse sur l’aptitude des personnes âgées hospitalisées à comprendre la prise de médicaments, soit la multitude des compétences cognitives ou sociales que les patient·e·s doivent posséder pour gérer leur traitement.

«L’adhésion médicamenteuse, c’est-à-dire le fait que les patient·e·s prennent leurs médicaments conformément à ce qui leur a été prescrit, a jusqu’ici surtout été évaluée selon qu’elle soit optimale ou non. Environ la moitié des patient·e·s qui gère des médicaments sur le long terme ne les prennent pas comme ils devraient», explique Jenny Gentizon. Mais des études plus récentes encouragent à différencier la non-adhésion volontaire de celle qui est involontaire. Des facteurs comme un déficit d’acuité visuelle, des problèmes cognitifs ou le manque de compréhension du plan de traitement peuvent contribuer à une non-adhésion involontaire aux médicaments chez les personnes  âgées. »

Méconnaissance des effets secondaires

Ces deux dernières années, la chercheuse a eu l’occasion de co-superviser plusieurs travaux de master consacrés à la médication des seniors vaudois·e·s hospitalisé·e·s. Une des études s’est penchée sur les connaissances des patient·e·s au sujet de leurs anticoagulants oraux. Sur la base d’un sondage comportant des questions de type «vrai ou faux», les résultats ont mis en évidence une moyenne de 68,3% de réponses correctes. Les effets secondaires, les surveillances, les interactions avec d’autres médicaments et les modifications du style de vie sont les domaines pour lesquels les patient·e·s présentaient le plus de lacunes.

«Une des conclusions importantes concerne le fait qu’un tiers des patient·e·s ne connaissent pas le risque principal de l’anti-coagulothérapie orale, soit le risque hémorragique, souligne Jenny Gentizon. L’étude a aussi mis en évidence des tendances d’associations entre le niveau de connaissance et l’âge ainsi que le niveau de formation des patient·e·s. » Ces résultats soulignent l’importance d’évaluer les connaissances des patient·e·s et de mettre en place des actions ciblées pour prévenir l’occurrence de problèmes.

Cinq à dix médicaments simultanés

La même cohorte de patient·e·s vaudois·e·s a ensuite répondu à un questionnaire sur le « sentiment d’efficacité personnelle » envers l’autogestion de leurs médicaments, soit leur confiance à les prendre conformément à la prescription. Parmi les personnes interrogées, 93% sont polymédiquées (soit prennent simultanément plus de cinq médicaments). Près de 18% de la cohorte doit même prendre dix médicaments ou plus. Les personnes âgées se montrent néanmoins confiantes dans la gestion de leurs traitements, avec un niveau d’efficacité moyen de 33,4 sur 39 points possibles. «Malgré les lacunes de connaissances évoquées plus haut, les patient·e·s reportent un sentiment d’efficacité relativement élevé, relève Jenny Gentizon. L’étude a cependant identifié deux éléments qui doivent être portés à l’attention des professionnel·le·s : les patient·e·s se montrent moins confiant·e·s envers leurs capacités à suivre le plan de traitement après qu’un changement de prescription a eu lieu, ou lorsque leurs médicaments causent des effets indésirables.»

Bien que les deux recherches exploratoires menées dans le canton de Vaud n’aient pas vocation à formuler des recommandations pour des changements de pratique, elles mettent en évidence plusieurs adaptations possibles en guise de filet de sécurité, relève la chercheuse: renforcer les informations et l’éducation ciblée en utilisant un langage simple et des supports écrits avec des illustrations. «Un autre aspect à développer concerne l’utilisation de la méthode teach-back.» Celle-ci consiste à transmettre des informations avant de demander aux personnes d’expliquer avec leurs mots ce qu’elles ont compris.  « L’hospitalisation n’offre pas toujours le contexte le plus favorable pour la rétention des informations (fatigue, stress, perte de repères). Dans un contexte où le·la patient·e est amené·e à consulter plusieurs spécialistes, il faut penser des stratégies qui renforcent la continuité des informations entre personnel soignant, patient·e·s et entourage. Améliorer l’implication des proches répondrait à un réel besoin exprimé de leur part. Aussi, avoir son dossier dans une même et unique pharmacie est un moyen pratique qui permet de renforcer le suivi des patient·e·s. »

Routines inventives

Jenny Gentizon termine aujourd’hui sa thèse sur la capacité à prendre correctement des médicaments chez les seniors hospitalisé·e·s, financée par le CHUV et dirigée par le docteur Cédric Mabire. «Ce concept souligne la complexité des compétences cognitives et sociales dont les patient·e·s ont besoin pour gérer leurs médicaments, et va au-delà de la connaissance du nom des médicaments, des précautions et des surveillances. Cela implique des compétences de communication avec les professionnels de santé, pour poser des questions, participer aux décisions ou exprimer un désaccord concernant tel ou tel médicament. Cela concerne aussi une forme d’inventivité avec la mise en place de routines quotidiennes, des stratégies personnelles pour prévenir la survenue de problèmes et assurer le suivi du plan du traitement.»

L’objectif de la thèse réside dans le développement d’un outil de mesure de la capacité à comprendre comment prendre leurs médicaments, pour les patient·e·s âgé·e·s hospitalisé·e·s, baptisé MED-fLAG. Pour ce faire, Jenny Gentizon peut s’appuyer sur un co-chercheur particulier: Éric Pilet, 77 ans et plus de 50 hospitalisations au compteur. Membre du ColLaboratoire, une unité de l’UNIL qui met en relation chercheur·euse·s et citoyen·ne·s, il s’est immédiatement manifesté pour prendre part au projet. «Le développement du MED-fLAG est réalisé avec une équipe interprofessionnelle, mais la participation d’un citoyen co-chercheur apporte une contribution irremplaçable dans la production de savoirs. Cela permet de mieux comprendre la réalité des personnes qui gèrent des médicaments au quotidien et la multitude des défis auxquels elles doivent faire face au long de la trajectoire de soins. »

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Chiffres clés

33,1%: C’est le pourcentage de femmes atteintes de maladies cardiovasculaires. En Suisse, ce type de maladies est la cause de décès la plus fréquente. Chez les hommes, le taux s’élève à 29,6%

12%: La part du budget dédiée aux médicaments en Suisse, sur le total des dépenses consacrées à la santé.

65%: Le pourcentage de médicaments distribués par les pharmacies. Aujourd’hui, les pharmacies demeurent le principal canal de distribution des médicaments. En termes de valeur, elles représentent environ 48% du chiffre d’affaires total du marché. Les autres canaux de distribution  sont les médecins, les drogueries et les hôpitaux.

6,136 milliards: C’est le volume en francs que représentait le marché du médicament en Suisse en 2019 (aux prix du fabricant), selon les données de la faîtière Interpharma.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 24).

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