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Lausanne, sur les traces de Félix Vallotton

Le célèbre peintre avait quitté Lausanne pour Paris à 16 ans, mais revenait régulièrement dans sa ville natale qui l’a inspiré jusqu’à sa mort. Elle en garde de nombreuses traces.

Partir sur les pas de Félix Vallotton constitue peut-être l’un des plus beaux prétextes pour arpenter Lausanne de haut en bas ou l’inverse. La balade peut commencer au bord du Léman, du côté de Vidy. La plage avait été immortalisée par le peintre en 1925, l’année de sa mort, à 60 ans, des suites d’un cancer. Habité par une urgence créatrice, le Lausannois peindra plus de 1700 tableaux durant sa carrière. La plage de Vidy n’a finalement pas beaucoup changé. Le Jura est évidemment toujours là, les cygnes en vadrouille aussi. Beauté de la lumière, de la nature et ambiance nostalgique s’y entremêlent harmonieusement comme sur la toile du maître.

De là, on peut passer devant le Théâtre de Vidy, traverser l’avenue de Rhodanie, remonter par le chemin des Plaines, parcourir le parc de Milan, l’un des poumons verts de la ville, pour arriver à la gare. «C’est vraisemblablement de là, via Neuchâtel, que le jeune Vallotton partit pour Paris à 16 ans suivre les cours de l’Académie Julian», rappelle Katia Poletti. La conservatrice de la Fondation  Félix Vallotton à Lausanne a intégré la prestigieuse institution en 2000, deux ans après sa création.

La quadragénaire est incollable sur le peintre, graveur, illustrateur, dessinateur, écrivain et critique d’art lausannois et sur l’œuvre qui l’a rendu célèbre aux quatre coins du monde. La Fondation la fait rayonner, mais n’est pas ouverte au public. Les personnes qui réalisent des recherches sur l’artiste peuvent y accéder sur rendez-vous. Juste à côté de la gare se trouve le Musée cantonal des Beaux-Arts (MCBA). C’est ici qu’en 2025 se tiendra une grande rétrospective pour le centenaire de la mort de Vallotton. « Enfin, les Lausannois n’auront plus besoin d’aller à Paris, Londres, New York ou au Japon, pour admirer les œuvres de leur artiste ! » se réjouit Katia Poletti, qui rêve qu’un jour, Lausanne dédie un nom de rue à l’artiste.

Le MCBA possède la plus grande collection de Vallotton au monde, soit 64 peintures, près de 300 estampes et 200 dessins. La collection permanente présente gratuitement au public une douzaine d’œuvres du peintre dont la célèbre Chambre rouge. Sa cultissime Étude de fesses est aussi à Lausanne, mais conservée chez un collectionneur privé préférant garder l’anonymat… Pour vous consoler de ne pouvoir l’admirer, vous pourrez vous offrir une pause gastronomique au Nabi. Le nom de ce café-restaurant fait référence au mouvement d’artistes postimpressionniste avant-gardiste auquel Vallotton appartenait.

Vous pourrez ensuite poursuivre votre montée vers la place Saint-François via la rue commerçante du Petit-Chêne, puis vers la Palud où vous attend la statue de la Justice. C’est sur cette place, à droite de l’Hôtel de Ville, que se trouve la maison où naquit Vallotton le 28 décembre 1865.

Une plaque en témoigne. À l’époque, la place était en terre battue, à mille lieues de l’aspect actuel. C’est là aussi qu’Adrien Vallotton, le père du peintre, tenait la droguerie de l’Hôtel de Ville qu’il délaissa vers 1883 pour reprendre une chocolaterie dans la vallée du Flon, entre l’actuel pont Chauderon et Montbenon. Son fils cadet en gardera un amour du bon chocolat. «Lors de ses années désargentées, il arrivait souvent que Félix Vallotton demande à son frère, avec qui il entretenait une correspondance régulière, de lui en envoyer à Paris», raconte Katia Poletti.

Au bas des Escaliers du Marché, jouxtant la Palud, se trouve la Galerie du Marché qui propose à la vente, en vitrine, des gravures originales de Vallotton. Une escale au restaurant Le Raisin ou au Grütli, deux institutions lausannoises, s’impose alors pour profiter pleinement de l’atmosphère de la place pavée et de ses va et-vient. Peut-être verrez-vous alors passer un local arborant sur le derme une œuvre inspirée des gravures de Vallotton et réalisée par le tatoueur lausannois de talent Stéphane Devidal qui en avait fait un temps une spécialité.

Ensuite, on remonte la rue Mercerie jusqu’au Gymnase de la Cité. Félix Vallotton y fut scolarisé à une époque où l’édifice abritait le Collège cantonal. Il n’en garda pas un souvenir émerveillé : « Là, rien ne m’a intéressé qu’à partir de ma libération ; j’ai spontanément compris que sept années d’assiduité somnolente, de pensums et de cris professoraux avaient peu de nécessité. Ce fut un beau jour », écrivit le peintre en 1902. Nous sommes à deux pas des anciens locaux du quotidien Le Temps, dont l’un des ancêtres fut la Gazette de Lausanne, journal pour lequel Vallotton travailla quelques années comme critique d’art depuis Paris. Nous sommes surtout au pied de la Cathédrale, que Vallotton a peinte en 1887.

Sa Vue de Lausanne donne à voir la partie orientale de la place de la Riponne, dominée par la Cathédrale. «Pour capter ce point de vue, il a dû monter haut dans l’immeuble hébergeant aujourd’hui le café Le Pointu», analyse Katia Poletti.

La Cathédrale renvoie aussi à la culture protestante de Vallotton. «Sa peinture souvent allusive, parfois érotique, exprime une tension. Peut-être est-elle redevable à son éducation protestante?», questionne Katia Poletti. Effectivement, le peintre admettait lui-même dans son journal en 1919 : «Il me semble que je peins pour des gens équilibrés, mais non dénués toutefois d’un peu de vice inavoué. J’aime d’ailleurs cet état qui m’est aussi propre.» Il semble peu probable que Vallotton ait été croyant, mais il est certain qu’il était habité de fortes convictions anarchistes. Nombre de ses dessins de presse, riches en policiers répressifs, en témoignent.

Pourquoi ne pas, dès lors, improviser une petite visite au Centre international de recherches sur l’anarchisme (CIRA) où Vallotton a une place? Pour s’y rendre, il faut marcher 1,5 km en direction du CHUV ou emprunter les transports publics.

En prenant ensuite le bus tl n°8, on rejoint le Château de la Naz (arrêt Grand-Mont + 1,5 km à pied), dans la commune du Mont-sur-Lausanne. En 1900, le peintre y passa, en famille, quatre mois artistiquement prolifiques, non loin de la villégiature estivale de son frère aîné Paul, lequel lança à Lausanne la légendaire Galerie d’art Paul Vallotton qui perdura jusqu’en 1998. À part quelques lignes électriques, les paysages et les points de vue n’ont guère changé. On s’en aperçoit en arpentant la campagne environnante avec des reproductions de tableaux de Vallotton à portée de smartphone.

Cet été-là, le peintre Édouard Vuillard était venu rejoindre son ami deux semaines. Une photo les montre de dos, en promenade à proximité de l’ancienne Abbaye cistercienne de Montheron (bus tl n°60, arrêt Cugy). C’est là un très beau point final pour notre balade, laquelle s’achève en arpentant les Bois du Jorat le long de la rivière du Talent, avant de se restaurer à l’Auberge de l’Abbaye de Montheron, établissement de caractère régulièrement honoré par le GaultMillau.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (n° 8).