KAPITAL

La semaine de 4 jours, un modèle d’avenir?

Travailler un jour de moins par semaine, tout en étant payé la même chose. L’idée fait son chemin dans de nombreux pays, mais implique de profonds changements de mentalité.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

_______

Dans quelques mois, près de 200 entreprises espagnoles vont adopter la semaine de travail de quatre jours, soit 32 heures sans réduction de salaire. L’initiative a été impulsée par le parti Más País (gauche) avant d’être adoubée par Pedro Sánchez, l’actuel président du gouvernement. Le projet de test grandeur nature sera soutenu à  hauteur de 50 millions d’euros par les pouvoirs publics. Il devrait concerner en tout 2’000 à 3’000 salariés, pendant une durée de trois ans, pour permettre d’évaluer le potentiel de la mesure en comparaison aux entreprises traditionnelles.

Les dirigeants de Microsoft au Japon peuvent témoigner d’un bilan très positif lié à une expérience similaire menée il y a deux ans au sein de leur société. Après avoir accordé un week-end de trois jours à leurs employés durant une période test en août 2019, les responsables ont noté une augmentation de la productivité globale de 40%, tandis que la consommation d’électricité et de papier imprimé reculaient respectivement de 23% et 60%.

Le concept a depuis fait son chemin au sein de l’archipel asiatique, connu pour sa rigoureuse culture du travail. Ainsi, le gouvernement nippon a recommandé aux entreprises de permettre à leurs employés de ne travailler que quatre jours par semaine (au lieu de cinq habituellement) dans le cadre de ses directives annuelles en matière de politique économique, présentées en juin dernier.

Les gouvernements de la Nouvelle-Zélande de la Finlande ont eux aussi déjà évoquée l’idée, tandis qu’un projet pilote menée durant  quatre ans en Islande (passage de 40 à 35 heures) sans entraîner ni perte de productivité ni perte de qualité.

Initiatives suisses

La semaine de quatre jours suscite aussi des débats en Suisse. Le concept est notamment intégré à une initiative cantonale lancée ce printemps par la gauche radicale à Genève. Elle fait aussi l’objet d’essais dans des cas isolés, à l’instar de la succursale suisse d’Awin, spécialisée dans le marketing internet. L’adoption de la mesure il y a quelques mois a dû être accompagnée de plusieurs changements. «Nous avons adapté certains processus, réduits les temps morts et intégré de nouveaux outils pour améliorer l’efficacité de notre fonctionnement», a expliqué Florian Wallner, dirigeant du bureau suisse dans une interview à SRF.

«Il existe en Suisse encore une forte prégnance d’une logique tayloriste, qui exige que tout le monde se trouve sur site à heures fixes, dit Xavier Camby, cofondateur du cabinet Essentiel Management Conseil à Bulle (FR) et auteur de «48 clés pour un management durable». Mais on remarque que de plus en plus d’entreprises déconnectent productivité et temps passé au travail, en autorisent un passage à 80%, y compris dans des secteurs traditionnels comme le bâtiment. Une chose encore tout à fait impensable chez nos voisins allemands ou français.»

Un mouvement qui n’est pas prêt de s’arrêter et qui fait ses preuves selon l’expert. Il cite l’exemple de cette entreprise valaisanne spécialisée dans les matériaux de construction, qui affichait un carnet de commande plein à un an, tout en cumulant des retards de livraison. «Le directeur de cette société de 200 employés m’a expliqué que plutôt d’imposer des heures supplémentaires, il a invité l’ensemble de ses collaborateurs à une journée en montagne. En célébrer la positivité plutôt que de courir après les clients, le dirigeant a entraîné un changement de perception auprès de son équipe, qui a rattrapé son retard en quelques semaines en s’investissant plus sur une base volontaire.»

4 conseils de Xavier Camby, cofondateur du cabinet Essentiel Management Conseil à Bulle (FR)

  1. Montrer l’exemple. «La transformation d’une organisation ne peut pas fonctionner sans que le changement soit mis en œuvre par sa gouvernance, avant d’être adopté par mimétisme par les collaborateurs. Or trop de managers donnent l’exemple d’être débordés. »
  1. Répondre aux sentiments d’inégalité. «On a vu que le télétravail a bénéficié à certains, alors que d’autres employés sont obligés à l’utilisation d’une machine sur site. Il est donc essentiel de mener un diagnostic précis. Si une mesure n’est pas généralisable à toutes les parties, il faut identifier comment la compenser.»
  1. Être prêt à réduire le travail inutile. «Plusieurs études indiquent que jusqu’à 25% du temps de travail d’un cadre consiste en des tâches superflues, et 10 à 15% pour les collaborateurs. Il faut donc être prêt à éliminer certaines séances ou outils de contrôle.»
  1. Supprimer la délégation ascendante. «On remarque encore trop souvent que des gens prennent des décisions simplement pour justifier leur propre position. J’ai vu l’exemple dans une grande entreprise d’une équipe de direction se saisir du concept de rénovation de la cafétéria. Supprimer ce contrôle est la clé pour créer une dynamique de transformation positive.»