La restauration suisse doit améliorer son accueil, dit-on. Mais les affaires sont les affaires. Et le petit chocolat offert avec le café ne peut rester gratuit que dans certaines limites. Gisela Studer s’initie à la sociologie des sous-tasses.
Il y a quelques années, nous ne pouvions en croire nos yeux: un petit chocolat à côté de la tasse de café! Un Suchard ou un carré Frigor, un chocolat, un vrai, gratuit.
Au nom du ciel, qu’avions-nous fait pour mériter pareille générosité? Chacun remerciait le garçon avec effusion, déballait puis goûtait délicatement sa friandise. C’était la fête. Comme si les mignardises réservées aux grandes tables avaient soudain décidé de se démocratiser, qu’elles daignaient descendre de leurs assiettes à collerette de dentelle pour s’offrir en toute simplicité jusque sur dans sous-tasses de la moindre pizzeria.
Depuis, les bistrots qui ne servent pas de chocolat avec le café se sont fait une réputation de cantine. Leurs tenanciers n’ont rien compris au geste qui compte et s’obstinent à ne pas voir les allusions du client qui soulève ostensiblement son sachet de sucre et fronce le sourcil quand décidément, il n’y a rien d’autre dans sa sous-tasse.
Il peut arriver, quand on le demande et que la serveuse est aimable, qu’un petit chocolat débarque tout de même en dernière minute. Ce n’est plus alors un cadeau mais une concession accordée avec magnanimité. Mais le plus souvent, on nous répond non et le café prend un goût bien fade: nous sommes privés de notre dû.
Côté vendeur aussi, le système se déglingue et les traditions dégénèrent. Certains cafetiers n’offrent que de tout petits chocolats emballés ad hoc et visiblement destinés à leur seule tâche promotionnelle. Ce sont de minuscules tablettes qu’on sent à peine glisser sur la langue. Frustrant.
Ce chocolat que nous n’avions pas demandé, et qu’on nous a appris à désirer pour mieux nous fidéliser, eh bien ce chocolat n’a souvent plus rien d’ «authentique». Disparus les Suchard et les Frigor, le petit objet emballé n’est plus qu’intention mercantile.
Je dois évoquer encore l’incident vécu il y a peu dans un vaste établissement de la région genevoise. Un restaurant pressé où nous avons osé demander s’il était possible d’obtenir encore une ou deux de ces minuscules gâteries promotionnelles. Le garçon, après avoir longuement hésité, nous a répondu: «Oui, mais c’est 10 centimes pièce».
Et voilà, la boucle est bouclée. Le client, devenu lucide sur la marchandise qu’on lui offre, se permet d’en redemander. Et le restaurateur riposte en lui faisant payer son audace.
L’offre s’adapte à la demande, telle est la loi du marché. Telle est aussi la morale de la belle histoire du fondant gratuit. Le diable du capitalisme à la suisse est dans les détails.