La Suisse va mal, et cela ne date ni du refus de l’assurance maternité, ni du boycott de Sion par le CIO. Encore moins de l’échec de Martina Hingis à Wimbledon, lors du premier match qu’elle jouait en l’absence de sa mère.
Pour avoir participé d’assez près à l’organisation d’une célébration du 700e anniversaire de la Confédération, j’avais alors pu palper le malaise, un malaise qui tourna à l’indisposition avec le refus de l’Espace économique européen et à la maladie chronique avec la montée du chômage et de la pauvreté.
Rien ne résiste à cet étiolement: l’an dernier, on voulut célébrer les 200 ans de la République Helvétique et les 150 ans de la Constitution. Cela tourna au pathétique dans l’indifférence. Et après Sion 2006, qui voudrait prendre la place de Jacqueline Fendt pour gérer la future exposition nationale?
Les raisons de ce dépérissement sont multiples.
Il en est une qui me tient à coeur, c’est l’unanimisme politique, le consensus que nous connaissons depuis 1959. Il n’est pas normal qu’un peuple (un peuple ou une population?) soit gouverné par une espèce de conseil d’administration dont les membres, grosso modo, se cooptent depuis 40 ans. Sans que l’électeur ait à choisir sur des programmes alternatifs. Sans que la responsabilité des membres de ce conseil soit directement engagée: l’un d’entre eux peut prendre une veste terrible comme la malheureuse Ruth Dreifuss le 13 juin, il ne se passera rien. La dernière démission politique d’un membre du gouvernement date de 1953. Cela fait deux générations!
Cette ligne consensuelle adoptée en 1959 lors de l’introduction de la formule magique (2 radicaux, 2 démocrates-chrétiens, 2 socialistes, 1 agrarien/UDC) est le prolongement d’une politique instaurée au sortir de la première guerre mondiale par l’introduction de l’élection du Conseil national à la proportionnelle. Ce choix, alors, était progressiste. Il s’agissait de donner la parole à une classe ouvrière qui travaillait dur pour pas grand chose. Les temps ont changé, cette classe a pris la parole et a même pu exploiter les travailleurs étrangers en refusant de la leur donner.
Aujourd’hui, pour rétablir ne serait-ce qu’une apparence de débat politique, de discussion sur l’avenir du pays, il s’agit de le soumettre à une thérapie de choc. Le libéralisme économique (timidement appliqué si l’on songe aux forteresses fédérales que sont les sociétés électriques ou aux forteresses privées comme la chimie ou la presse) a provoqué quelques fissures, dans l’agriculture et dans la fonction publique.
Mais en fin de compte, le problème est politique et l’on devrait réapprendre le débat d’idées avec le passage à un système d’alternance gauche/droite. Or cette alternance n’est possible qu’avec l’introduction d’un système électoral majoritaire: le parti qui emporte la mise rafle l’essentiel du pouvoir y compris ce que les Américains appellent les «dépouilles», en gros, les chefs de l’administration.
Un tel système obligerait le flatulent centre mou helvétique, ces radicaux, ces pdc, ces socialistes incolores, inodores et, ô combien insipides, à se déterminer sur des choix politiques concrets, à se battre enfin pour autre chose que leurs minables carrières.
Et qui sait? Les Suisses reprendraient peut-être goût à la chose publique, et même à l’organisation de vraies festivités.
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Gérard Delaloye est historien et journaliste.