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Pour raisons personnelles

L’extension du passeport sanitaire aux restaurants et à la plupart des lieux publics clos fait débat. On se demande bien pourquoi.

On imagine la colère des joueurs de billard. Et celle de tous les autres bien sûr. Les amateurs de cinéma, de théâtre, d’escalade – en salle, on s’entend –, les fondus de bibliothèques, de musées, de piscines – couvertes bien entendu –, et tous ces gens bizarres qui n’imaginent pas pourvoir vivre sans tournées au bar, gueuletons au restaurant ni promenades au zoo. Et qui tous ne sont pas vaccinés.

Le paradoxe veut que cette mesure du Conseil fédéral, étendant l’obligation du passeport sanitaire pour accéder à la plupart des lieux publics clos, est censée protéger d’abord ceux qui ne veulent pas en entendre parler. Ceux qui, de par leur état de non-vaccinés, sont les plus exposés aux sournoiseries du virus.

Faudrait-il en conclure que ces gens-là n’aiment pas à être protégés? Qu’ils se sentent et se revendiquent tellement libres, forts et indépendants que toute mesure se souciant de leur bien-être serait vue comme une grave atteinte à un droit imprescriptible: celui qu’on leur fiche la paix?

Il serait sans doute plus juste de dire que, comme tout le monde, ils n’ont rien contre un peu de protection, mais seulement quand ça leur chante. Quand il s’agit par exemple de toucher les aides financières prévues pour compenser les dégâts économiques causés par la pandémie.

On pourrait bien sûr se gausser des deux exceptions prévues par le Conseil fédéral: pas besoin de passeport sanitaire pour les cérémonies religieuses et les réunions politiques de moins de 50 personnes. Il faut reconnaître que c’est assez audacieux pour un gouvernement en 2021 de soutenir que les deux activités les plus essentielles pour l’être humain seraient les meetings et les messe basses. Cela contribue sans doute à brouiller le message, et à donner des arguments supplémentaires aux rétifs.

Bien sûr aussi il est clair pour tout le monde que cette extension du passeport sanitaire n’a qu’un but réel, quasi revendiqué: pousser à la vaccination.

Notons à cet égard qu’une majorité de la population est désormais entièrement vaccinée (52,3%). On regretterait presque qu’une votation populaire ne soit pas organisée, posant la question de la vaccination obligatoire. Cela aurait l’avantage de montrer, par la magie de la démocratie directe, que le vaccin a peu à voir avec une prétendue dictature sanitaire, mais beaucoup avec l’intérêt général.

Surtout que pour la première fois depuis le début de la pandémie, la Suisse prend une mesure plus drastique que les pays à forte tradition centralisatrice, genre la France. Contrairement à nos voisins en effet, les restaurateurs suisses seront tenus de contrôler non seulement les certificats sanitaires mais aussi l’identité des personnes, pour éviter toute tricherie.

Surtout aussi que cette extension est défendue par le Conseil fédéral avec des éléments de langage qui ont été tellement utilisés, à chaque étape de la pandémie, qu’ils en sont devenus inaudibles, sonnant comme un aveu d’imprévoyance, si pas une simple contre-vérité. On a ainsi entendu les duettistes Parmelin et Berset ressasser la même froissée rengaine: «Nous voulons éviter une nouvelle surcharge des hôpitaux… Personne ne comprendrait que nous risquions une nouvelle surcharge du personnel de la santé à l’approche de l’hiver».

Plus convaincant et plus honnête, bien que plus rude, apparaît le message adressé aux non-vaccinés par le conseiller d’Etat bâlois Lukas Engelberger: «En attendant et en critiquant, vous prolongez la crise».

Les oppositions les plus virulentes à l’extension du passeport sanitaire sont celles attendues. On y trouve l’UDC bien sûr qui par principe figé et/ou électoralisme crasse, conteste depuis le début le bien-fondé d’à peu près toutes les mesures sanitaires.

GastroSuisse évidemment, qui redoute une chute des chiffres d’affaires. Avec cette particularité que son omniprésent président, Casimir Platzer, fait lui-même partie des non-vaccinés «pour des raisons personnelles». Lui qui soutient que le sésame sanitaire conduit «à un traitement d’inégalité flagrante de la population».

Certes, mais à une nuance près: ces inégalités «flagrantes» sont d’abord le fait de ceux-là même qui s’en indignent, ayant privilégié, contre les enjeux collectifs, justement leurs précieuses «raisons personnelles».