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Pauvres riches

Personne n’aime les riches. Il est plus facile –la Bible ou le Capital de Marx en main–, de les fustiger ou de les envier, dans le secret de son cœur, tout en les méprisant très fort. Normalement donc, une initiative populaire qui proposerait de surtaxer les gains des plus fortunés devrait faire un carton.

Or, à un mois du scrutin, l’initiative dite «99%» des Jeunes socialistes prendrait plutôt la direction du flop. Elle propose pourtant d’instaurer une taxe sur le revenu du capital (intérêts, dividendes, etc.) qui serait une fois et demie plus élevée que l’impôt sur les revenus du travail, à partir d’un seuil encore flou, genre 100’000 francs.

Comment expliquer ce mystère? Par le fait qu’il ne resterait que bien peu de vrais marxistes en Suisse, à vous marteler l’agaçant concept de plus-value? Et pas davantage d’authentiques chrétiens, toujours prêt à vous casser les pieds avec des histoires de chameaux sommés de passer par le trou d’une aiguille?

Bien sûr, la Suisse a la réputation d’être un pays riche, mais elle n’est probablement pas un pays de riches, le gros des troupes jonglant mensuellement avec des prix à la consommation, des primes maladie et des loyers écrasants en comparaison mondiale. C’est d’ailleurs le sens du titre de l’initiative: 99% de la population composée d’honnêtes et laborieux citoyens contre 1% de gros richards fainéants. Sauf que les enquêtes d’opinion, qui donnent l’initiative perdante, démentent cruellement ce supposé rapport de force.

Le fait que la Suisse soit un des rares pays où l’énorme majorité de la population paye l’impôt sur le revenu aurait-il créé, face au gourdin fiscal, un réflexe inconscient de solidarité avec les victimes des plus gros coups sur la tête?

Plus sérieusement, ce rejet programmé d’un impôt censé mettre à genoux les riches pourrait s’expliquer par un autre fait: que la Suisse, malgré le trompe-l’œil des villes roses vertes, reste un pays solidement confiné à droite. Selon les sondages en effet, l’initiative «99%» ne fait saliver qu’à gauche, enthousiasmant 81% des militants socialistes et 78% des Verts. Alors qu’elle ne trouve pas grâce auprès du Centre, de l’UDC des Radicaux (rejet à 77%) ni même des Verts libéraux.

Les chiffres enfin, ne viennent pas vraiment conforter le réflexe anti-riches ni le mantra très psalmodié à gauche du fameux fossé entre privilégiés et miséreux qui ne cesserait de se creuser. Le ministre des Finances Ueli Maurer a eu beau jeu de brandir quelques réfrigérantes statistiques. Les plus riches, le fameux 1%, contribueraient pour 40% à l’impôt fédéral et financeraient proportionnellement bien davantage l’AVS que n’importe qui, puisque les cotisations sont indexées sur les salaires.

Le même ministre a poussé le bouchon encore plus loin, insinuant que les pauvres de ce pays n’avaient pas trop de quoi se plaindre. L’an dernier les dépenses sociales se sont montées à 170 milliards, ce qui correspondrait, «à environ un quart de la production économique totale». Bref, comme aurait pu le dire Macron, «un pognon de dingue» qui part chaque année pour les bonnes œuvres.

Un autre argument tout aussi élégant a été brandi par Ueli Maurer pour dézinguer l’idée d’une surtaxation des plus fortunés: ces messieurs-dames disposent d’une jolie capacité de nuisance et pourraient bien, si l’on venait un peu trop leur chatouiller le portefeuille, engager moins de capital-risque dans l’économie. Ce qui aurait pour conséquences une diminution des créations d’emplois, moins de richesses produites et au final moins d’argent dans les caisses publiques. La chanson est connue, avec ses petits airs de chantage au prétendu ruissellement.

En résumé, pour contrer une attaque plutôt irrationnelle et idéologique contre les riches, basée sur une opposition très simpliste entre travail et capital, le gouvernement a choisi de répondre par des arguments d’un cynisme à la limite de la décence. La belle campagne que voilà.