CULTURE

Patrick Gyger: «Il s’agit d’un lieu de tous les possibles»

À côté de la gare de Lausanne, le pôle muséal Plateforme 10 s’impose comme un nouveau carrefour dédié à la culture et à l’art de vivre. Rencontre avec son directeur, Patrick Gyger.

Il a fait briller jusqu’aux étoiles un petit musée de la science-fiction situé à Yverdon-lesBains, avant d’être appelé à Nantes, non loin de l’océan Atlantique, pour diriger le Lieu Unique, un centre de culture contemporaine accueillant plus de 500 événements par an.

De retour en terres vaudoises, l’historien Patrick Gyger a été nommé à la tête de Plateforme 10, le pôle qui rassemble, sur un site exceptionnel, trois prestigieux musées: le MCBA dédié aux Beaux-Arts, inauguré en octobre 2019, l’Élysée (photographie) et le mudac (design) qui le rejoindront en 2022, ainsi que plusieurs restaurants, fondations et espaces de création (lire encadré). Sa mission? Jouer au chef d’orchestre pour créer un élan propre au lieu et garantir l’identité des institutions présentes, sans jamais perdre de vue l’intérêt du public. Rencontre.

Comment peut-on se projeter lorsque l’on reprend la direction d’un site muséal en pleine crise sanitaire?

Patrick Gyger: Il faut nuancer la situation. Le Musée cantonal des Beaux-Arts, qui a ouvert un peu avant la crise, en octobre 2019, a pu développer ses premières expositions, même si elles ont dû être interrompues un temps. Les travaux du second bâtiment, qui abritera le Musée de l’Élysée et le mudac, se poursuivent normalement et n’ont été que peu perturbés. L’impact principal tient au fait que nous ne pouvons pas animer le site comme nous le souhaitons. Mais avec l’ouverture du second bâtiment, prévue en juin 2022, nous allons pouvoir progressivement affirmer notre marque. Cela nous permet de travailler sur le contenu. Il y aura notamment une exposition commune entre les trois institutions et un vaste programme en lien avec l’inauguration.

La situation actuelle vous amène-t-elle à repenser l’accès numérique aux collections ou à imaginer des expériences virtuelles?

La numérisation des collections est un travail au long cours, qui s’effectue selon un processus déjà bien établi. Cela fait partie des tâches de fond d’un musée moderne, au même titre que la restauration des œuvres, la gestion des prêts ou la préparation des expositions. Concernant l’idée de remplacer l’expérience de la visite par du contenu en ligne, cela peut être intéressant pour compléter certaines propositions minimalistes, par exemple un concert dans un espace restreint. Mais on voit que cela ne marche pas très bien pour le spectacle vivant. D’autant plus qu’on constate que ce qui manque le plus aux personnes qui se retrouvent confinées, c’est ce rapport à l’expérience. Rester chez soi à regarder Netflix ne remplace pas une soirée au théâtre ou la visite d’un musée.

Quelles seront vos missions principales en tant que directeur général?

En premier lieu, m’assurer que les trois musées intègrent la fondation de façon harmonieuse. Il s’agit ensuite de réussir à mutualiser les propositions tout en faisant en sorte que chaque musée conserve une identité forte. Il faudra aussi faire vivre le site, qui comptera plusieurs restaurants, arcades et espaces extérieurs.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet?

L’aspect excitant, c’est qu’il s’agit d’un nouveau lieu de tous les possibles. Cela reste difficile à appréhender avec le chantier en cours. À court terme, nous ne disposons pas encore de la vision de tout ce que l’on pourra proposer. Le programme complémentaire qui s’est tenu l’été passé a été bien reçu. Mais il y aura beaucoup d’expérimentations qui vont se faire, des événements, des rencontres, des invitations avec des partenaires de la ville, du canton ou de l’étranger. Le projet doit porter un message d’ouverture, de réenchantement du monde par les artistes.

Plateforme 10 est aussi un pari architectural. Y a-t-il un détail de l’ensemble qui vous plaît particulièrement?

Oui, ce sont à la fois une réalisation architecturale et un véritable projet d’urbanisme qui créent un nouveau quartier au cœur de Lausanne. Certains endroits offrent des points de vue assez fascinants, je pense par exemple au rez-de-chaussée du MCBA. Plusieurs lieux du site bénéficieront de trouées sur les voies de chemin de fer, notamment l’un des cafés, et seront autant d’invitations au voyage immobile.

Vous avez dirigé durant près d’une décennie la Maison d’Ailleurs à Yverdon, un musée consacré à la science-fiction. Qu’avez-vous retiré de cette expérience?

J’ai eu l’occasion de développer tous les aspects de l’institution: les collections, le patrimoine du musée, fonder l’Espace Jules Verne ou encore tisser des relations pour créer des expositions itinérantes présentées ensuite en Asie ou ailleurs. J’en ai aussi profité pour mener un important travail sur le sens du musée: porter une vision artistique plutôt que présenter au public ce qu’il connaît déjà, sans pour autant être exigeant juste pour être exigeant. Pour y parvenir, il faut faire en sorte que les conditions d’accès soient les plus aisées possible. Je parle d’accessibilité financière, physique, mais aussi mentale. Il faut réussir à renverser le sentiment d’illégitimité à se rendre au musée que ressentent certaines personnes. J’ai ensuite dirigé le Lieu Unique, à Nantes, où 80% de notre offre était en accès libre. Nous disposions aussi d’un bar très animé, qui permettait d’amadouer de nouveaux publics. Ce n’est pas parce que l’on possède des ambitions artistiques que celles-ci ne peuvent pas prendre une forme festive ou décalée.

Justement, qu’est-ce que vous avez rapporté dans vos valises de la côte atlantique à Lausanne?

De l’expérience dans la gestion d’une équipe de grande taille, avec des personnes agissant dans des secteurs qui avaient chacun leur propre programmation: spectacle vivant, musique, débats, arts plastiques… J’ai aussi appris comment proposer des expériences singulières, mais qui entrent en dialogue et qui prennent du sens à l’aide d’événements très conviviaux. Le site du Lieu Unique a été pensé pour cela, ce qui facilitait les choses. Avec Plateforme 10, il va falloir éprouver ce fonctionnement dans des bâtiments somme toute assez solennels. Mais j’ai une forte envie de pouvoir mettre en valeur des artistes, confirmés ou non, du canton.

Pour qu’un projet culturel réussisse, les habitants de la région doivent-ils se l’approprier?

C’est un aspect clé, qui va évidemment beaucoup nous occuper. Le site est pour l’instant assez minéral, mais il est amené à évoluer. La réception du public dépendra de ce que l’on y propose, mais il y a aussi l’impact du chantier de la gare, qui reste difficile à évaluer. Je me battrai dans tous les cas pour que nous soyons un lieu ouvert, visible et qui attire loin à la ronde.

Vous êtes né au Brésil, avez grandi à Rolle et suivi vos études à Lausanne. Quel est votre rapport à la capitale vaudoise?

Il est d’abord lié à la découverte. Adolescent, j’y venais en pérégrinations pour consommer de la culture, aller au cinéma… Avec mes études au gymnase et à l’université, mes visites sont devenues plus fréquentes, jusqu’à pouvoir dire que je suis Lausannois. Les endroits qui m’ont marqué? Les espaces culturels interlopes comme La Dolce Vita, plus tard Le Bourg ou Sévelin. Lausanne a connu un certain nombre de mutations urbaines intéressantes avec l’apparition de ces lieux de création situés dans des espaces en friche ou des squats.

Lausanne accueille de nombreux touristes. Que devrait-on venir voir à Plateforme 10 si l’on n’a qu’une seule journée à disposition?

Il faut rester plus d’un jour à Lausanne! (Rires.) Plus sérieusement, l’idée est que chaque jour au moins l’un des musées sera ouvert et amènera son lot d’événements, de découvertes au sein de Plateforme 10. Il vaudra toujours la peine de visiter l’un des musées, boire un verre ou admirer les bâtiments. Le site sera impressionnant en lui-même.

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SES ADRESSES

LE CAFÉ PERCHÉ (Promenade du Bois de-Beaulieu, Lausanne)

«Tenu par l’équipe du Nabi, le restaurant du MCBA à Plateforme 10, le Café Perché est petit par la taille, mais bénéficie d’une vue exceptionnelle et de produits de qualité. La restauration est légère mais élaborée, les glaces et cafés de choix. L’endroit offre un moment de pause bienvenu, et les enfants (le cas échéant) peuvent être laissés à leurs propres aventures dans le parc.»

CINÉMA BELLEVAUX (Route Aloys-Fauquez 4, Lausanne)

«Un classique absolu de la culture lausannoise, un cinéma qui existe depuis plus de soixante ans, mais qui reste l’une des seules salles «art et essai» de la ville, proposant une programmation filmique pointue, mais aussi de belles sessions de musique expérimentale sur leur système son.»

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VISITE GUIDÉE

PLATEFORME 10

C’est le nom du nouveau pôle muséal situé à côté de la gare de Lausanne, chapeauté par la fondation du même nom. Il réunit le Musée cantonal des Beaux-Arts (MCBA), le Musée de l’Élysée et le Musée de design et d’arts appliqués contemporains (mudac). Le site accueille aussi plusieurs restaurants, arcades et espaces extérieurs, ainsi que les Fondations Toms Pauli et Félix Vallotton.

MCBA

Le Musée cantonal des Beaux-Arts a été fondé en 1841. Il est installé depuis fin 2019 dans le premier bâtiment de Plateforme 10, conçu par les architectes Fabrizio Barozzi et Alberto Veiga.

MUSÉE DE L’ÉLYSÉE

C’est le musée lausannois dédié à la photographie. Il rouvrira ses portes en juin 2022. Il compte parmi ses collections plus d’un million de phototypes (tirages positifs, négatifs, planches-contacts et diapositives), 20’000 livres de photographie, ainsi que de nombreux fonds photographiques.

MUDAC

Le Musée de design et d’arts appliqués contemporains partagera avec le Musée de l’Élysée le deuxième bâtiment du site, dessiné par Francisco et Manuel Aires Mateus.

FONDATION TOMS PAULI

Créée en 2000, elle comprend une impressionnante collection de tapisseries anciennes du XVIe au XIXe siècle et de créations de textiles contemporains.

FONDATION FÉLIX VALLOTTON

Cette institution est consacrée à l’étude de la vie et de l’œuvre de l’artiste francosuisse Félix Vallotton (1865-1925). Celui-ci s’est illustré notamment par son travail de peintre, dessinateur, graveur et écrivain.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (no7).