KAPITAL

Richard Mille, à toute vitesse

Vingt ans après le lancement de son premier modèle, la marque horlogère de luxe vient de signer un partenariat avec Ferrari et voit l’arrivée d’une nouvelle génération à sa tête pour pérenniser son fulgurant succès.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

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«C’est une formidable opportunité, grâce à l’implication des designers et ingénieurs Ferrari, d’intégrer au cœur de nos montres nos nombreux développements respectifs.» Cofondateur de la marque qui porte son nom, Richard Mille se réjouissait, il y a quelques semaines, de ce nouveau partenariat, qui couvre notamment les compétitions de Formule 1.

L’histoire de la maison horlogère franco-suisse est étroitement liée au sport et à la compétition depuis la commercialisation de son premier modèle en 2001. Felipe Massa, Charles Leclerc, Romain Grosjean, l’écurie McLaren ou encore la rétrospective d’automobiles de compétition Le Mans Classic, qui se déroule sur le mythique circuit de course éponyme, comptent parmi les partenaires et événements de la marque qui se positionne comme la «Formule 1 du poignet» (traduction de son célèbre slogan «A Formula One on the wrist»).

«Notre collaboration avec Ferrari ne signifie pas l’arrêt des autres partenariats automobiles, souligne Alexandre Mille, directeur commercial de la marque. Mais cet accord avec la marque italienne fait totalement sens par rapport à notre historique commun de vouloir systématiquement mettre l’innovation au cœur de nos développements. Même s’il est encore trop tôt pour procéder à des annonces, il est clair que notre collaboration va permettre d’écrire un nouveau chapitre pour Richard Mille, avec des pièces vraiment incroyables.»

Plus forte croissance du secteur

L’entreprise compte parmi les rares jeunes maisons horlogères qui ont réussi à se faire un nom depuis le début du nouveau millénaire. Elle est née de l’association entre Richard Mille et Dominique Guenat à la fin des années 1990. Le premier s’est illustré jusque-là dans une variété de grandes entreprises horlogères françaises, tandis que le second possède alors Montres Valgine, une petite manufacture installée aux Breuleux (JU).

La combinaison produit rapidement des étincelles grâce à un concept articulé autour de trois éléments: l’emploi de techniques horlogères poussées dans leurs derniers retranchements, un design qui fait la part belle à une architecture en trois dimensions, ainsi qu’une finition main réalisée dans le respect de la tradition. Sans oublier un positionnement très haut de gamme, avec des pièces affichant des prix allant de 76’000 à plusieurs millions de francs pour les plus exclusives. La société s’est ainsi hissée au sommet du classement des 20 entreprises connaissant l’expansion la plus rapide selon le rapport du cabinet de conseil Deloitte publié fin 2020. Elle est aussi la seule PME suisse à figurer dans ce palmarès, aux côtés de géants comme LVMH ou Richemont.

«L’un des aspects les plus intéressants de la marque Richard Mille est qu’elle n’a jamais cessé d’employer de nouveaux matériaux comme le titane ou les composites carbone, notamment en faisant appel à l’expertise de spécialistes issus de l’aéronautique ou de la Formule 1», explique Timm Delfs, journaliste horloger et propriétaire de la boutique Zeitzentrale à Bâle.

Une envie d’innover qui a notamment donné lieu à la création de la montre RM 27-01, pesant moins de 19 grammes bracelet inclus, destinée au tennisman Rafael Nadal. «Ce partenariat est emblématique de l’esprit de la marque, dit Alexandre Mille. C’est le joueur lui-même qui souhaitait rencontrer mon père. Il l’a alors forcément incité à jouer avec une montre Mille au poignet. Ce qui allait être une première dans cette discipline! ‘Impossible’ lui a répondu Rafa, jusqu’au jour où nous lui avons présenté un modèle en carbone composite ultrarésistant aux chocs, très ergonomique et bien sûr, extrêmement légère.»

Tous modèles confondus, l’entreprise a produit l’an dernier un peu moins de 4’200 pièces, pour un chiffre d’affaires estimé à 340 millions de francs. Des ventes qui se répartissent équitablement entre les Amériques (30%), l’Europe-Moyen-Orient-Afrique (30%), l’Asie (30%), et le Japon (10%).

Le groupe Richard Mille compte aujourd’hui à peu près 200 employés, dont une petite vingtaine au siège social de la marque à Paris, où s’organise une partie des activités commerciales, le marketing et la communication. Il est divisé en plusieurs entités distinctes: Horométrie SA est en charge de la distribution et du service après-vente et de l’administration. Guenat SA Montres Valgine s’occupe de la conception et du développement des produits. Les sociétés ProArt 1 et 2 sont pour leurs parts spécialisées respectivement dans la fabrication de composants et de boîtes de montres et comptent également aujourd’hui un atelier de sertissage. Enfin la maison d’édition parisienne Les Editions du Cercle d’Art a la charge de la publication de livres d’Art mais également de la conception des différents documents et livres dédiés à la marque.

Une transmission par étapes

C’est donc une entreprise en pleine forme que les deux fondateurs ont entrepris de transmettre voilà quelques années à leurs enfants. Quatre d’entre eux ont été intégrés au sein de la direction de l’entreprise. Cécile Guenat est directrice de la création et du développement, son frère Maxime est responsable la direction opérationnelle, tandis qu’Amanda Mille est responsable de la marque et des partenariats et que son frère Alexandre est en charge des activités commerciales. Ce dernier souligne que si tous les quatre occupent aujourd’hui des postes à responsabilité, la transition s’est effectuée pas à pas. «Chacun d’entre nous a dû faire son bonhomme de chemin au sein de l’entreprise. J’ai par exemple commencé par un stage lors duquel je créais des visuels pour la marque, puis de la réalisation vidéo, avant de partir aux États-Unis pour me former auprès des équipes de RM Américas au développement commercial.»

Il souligne également que cette manière de faire contribue à faciliter la transmission. «Le fait d’avoir dû faire nos preuves pas à pas, mon père ayant plutôt eu tendance à nous dire ‘débrouillez-vous’, a permis de forger une légitimité et un respect mutuel auprès des équipes, qui voient d’ailleurs d’un bon œil que l’entreprise reste indépendante et au sein de la famille.»

De quoi consolider l’identité franco-suisse de l’entreprise et rassurer les afficionados, qui s’arrachent les modèles. «La question de la pérennité est l’un des principaux défis pour une marque où le fondateur occupe une place de première plan, dit l’expert horloger Timm Delfs. Savoir que la génération suivante est prête à reprendre la société et éviter qu’elle se fasse racheter et diluer par un grand groupe est donc un pas très important pour rassurer les clients de la pertinence de leurs achats.»

L’année particulière qui vient de s’écouler n’a pas affecté l’enthousiasme des clients, et la demande continue de surpasser l’offre. «Le plus gros impact de la crise sanitaire a concerné la décision de fermer l’usine pendant deux mois, ce qui a entraîné la production d’environ 800 pièces en moins et nous a empêché d’atteindre la barre symbolique des 5’000 montres, explique Alexandre Mille. L’autre difficulté a été de jongler avec les fermetures des boutiques de nos partenaires aux quatre coins du monde.» La marque a aussi dû déplorer l’annulation de nombreux événements auxquels elle convie habituellement ses clients. «Cela nous a impacté d’un point de vue émotionnel plutôt que sur le plan des affaires. Notre positionnement implique aussi le fait de cultiver une communauté et des rencontres régulières avec nos clients, ce qui est difficilement remplaçable par des messages électroniques.»