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Simplette ou simplifiée?

La réforme de l’orthographe entend faire cohabiter deux façons d’écrire. Elle opposera surtout deux sensibilités irréconciliables.

Rectifiée ou simplifiée? Cela dépend exactement par quel bout on l’empoigne, autrement dit comment on la ressent, cette réforme de l’orthographe voulue par la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) et censée être effective dans les écoles dès la rentrée 2023.

Si l’appellation officielle est bien «orthographe rectifiée» il s’agit dans les faits d’une simplification drastique tendant à rapprocher l’écrit de l’oral, permettant bientôt à chacun, à la question comment ça s’écrit, de répondre tranquillement, comme ça se prononce. Adieu circonflexes, bonjour les ognons, sans ce «i» qu’on n’entend pas et que donc on n’écrira plus.

L’annonce n’a d’abord provoqué que peu de vagues, hormis auprès des ronchons habituels, les médias relayant plutôt l’enthousiasme de pédagogues et autres spécialistes. Comme le psycholinguiste Pascal Gygax expliquant que «le français a connu des vagues volontaires de complexification arbitraire. Le but de l’aristocratie était de rendre la langue moins accessible du point de vue de son orthographe et de sa syntaxe à la population. Il est donc tout à fait possible d’introduire de nouvelles règles qui incluent tout le monde».

Les passéistes pourront toujours rétorquer que cette analyse, outre qu’elle verse dans un complotisme plus simplet que simplifié – les méchants aristocrates contre le bon peuple –, semble oublier qu’une langue n’est pas un algèbre. Que c’est justement cette complexité arbitraire qui fait qu’une langue est une langue, et pas une autre, ni un sabir à bien plaire.

Reste que les promoteurs de cette orthographe rectifiée, qui s’appuie sur ce qui se pratique dans les autres pays francophones et repose sur un rapport du Conseil supérieur de la langue française publié en 1990, et approuvé par l’Académie française, sont les premiers à admettre, en le disant avec des mots acceptables et choisis, qu’il s’agit d’un nivellement par le bas. Écoutons Jean-Pierre Siggen, président de la CIIP: «Ce choix traduit notre volonté de ne pas surcharger inutilement l’enseignement. La réussite scolaire des enfants dyslexiques ou allophones, qui rencontrent plus de difficultés en français, a aussi joué un rôle dans notre réflexion.»

Au niveau politique, les réactions ont tardé mais elles ont fini par arriver, via les sections francophones du Parti libéral-radical, qui se sont fendues d’une bafouille furibarde à l’attention des six ministres de l’instruction publique romands. Lettre qui traduit, comme le résume Bertrand Reich, président du Parti libéral-radical genevois, une «exaspération de voir l’incursion de l’État dans la définition du savoir. L’État n’est pas linguiste, sa mission doit donc se borner à transmettre celui-ci, et non à le définir».

Autre élément contesté, la manière, autrement dit le passage en force, jamais très bien vu au pays de la démocratie directe, comme le relève Marc-Olivier Buffat, président du PLR vaudois: «Il est invraisemblable que la CIIP revisite le français sans que cela fasse l’objet d’une consultation.»

Enfin, il est reproché à cette simplification de cacher en réalité une complexification, puisque les deux orthographes seront censées cohabiter. Confusion garantie. Sans parler du fait que l’on enseignera une langue qui ne sera pas celle d’un corpus littéraire vieux de plusieurs siècles, mais toujours en usage. Le rapport du Conseil supérieur de la langue française a beau dater de 1990, romans essais, documents ou articles de journaux ont continué, depuis, de s’écrire à l’ancienne manière.

Au final pourtant, la défense du château fort orthographique par quelques preux chevaliers attachés au bien écrire semble perdue d’avance, face aux coups de boutoir de la bien-pensance et à l’air du temps. Même si on n’empêchera pas les dits chevaliers de trouver que c’est un peu comme si on décidait, pour aider ceux qui auraient de la peine à apprendre à nager, d’abaisser le niveau de la mer.