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VIU, le lunettier zurichois à la conquête de l’Europe

Grâce à un design moderne, à la suppression des intermédiaires ainsi qu’à un mélange réussi entre vente en ligne et en magasin, l’entreprise vend désormais plus de 100’000 lunettes par année et vient de lever de nouveaux fonds pour son développement.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

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Lorsque le client passe la porte de la nouvelle boutique genevoise de VIU, ouverte le 11 décembre rue de la Confédération, des jeunes vendeurs au look décontracté lui demandent ce dont il a besoin en le tutoyant. Il ne trouve aucune des marques habituellement proposées par les chaînes d’opticiens, seulement les lunettes conçues par la société. Aucun signe d’instruments «médicaux» non plus, ni de large comptoir de caisse. L’arcade est épurée et met en avant les produits. Seuls quelques iPads dans les mains des collaborateurs sont là pour enregistrer les commandes et expédier directement par mail les factures.

Le magasin genevois est le dernier né des 14 boutiques VIU de Suisse, 50 au total dans le monde. Comment la société démarrée à Zurich en 2013, dans un secteur qui semblait saturé, a-t-elle pu se déployer d’Amsterdam à Berlin, de Vienne à Londres? Pour Camille Blin, directeur du master Design de produits de l’ECAL, elle a amené un point de vue différent sur le marché des lunettes, en offrant une alternative aux marques de sport ou de mode. «Elle a réussi à mettre en place un système qui fait un bon arbitrage entre tous les paramètres: prix abordable, qualité de la fabrication, recherche sur les matériaux.»

Contrôle de la production

La société avait en effet dès le départ pour ambition de chambouler un secteur dominé par les chaînes et les marques. «Sur le marché des lunettes en Suisse, la structure de distribution pousse les prix vers le haut: de manière générale, un opticien vend en moyenne 1,5 lunettes par collaborateur et par jour, à un prix d’environ 600 francs par paire, précise le co-fondateur et CEO de VIU, Kilian Wagner. Du côté de la production, quelques groupes se partagent le marché des montures, dont le géant franco-italien EssilorLuxottica. Ce dernier détient en propre ou en licence une trentaine de marques et impose ses tarifs aux opticiens.»

En concevant, faisant produire et vendant elle-même ses propres lunettes, l’entreprise peut ainsi augmenter sa marge et avoir une politique de prix mesurée, entre 195 et 245 francs pour une paire avec une correction simple. «Le but n’est pas d’être les moins chers, mais de proposer un prix juste pour une production de qualité, explique Fabrice Aeberhard, co-fondateur et directeur créatif. Pour cela, nous avons lancé en 2013 une collection comprenant seulement 15 modèles, réalisés dans une fabrique des Dolomites en Italie, proche de chez nous, et avec des verres suisses.»

Produites en série, les collections de VIU n’atteignent cependant pas le niveau de perfection des lunettiers indépendants qui proposent, à des prix plus élevés, des objets uniques fabriqués en Suisse. C’est d’ailleurs l’une des pistes d’améliorations que relève le directeur du master Design de produits de l’ECAL, Camille Blin. Pour lui, la marque pourrait se montrer encore plus avant-gardiste dans ses modèles et recourir à des matériaux plus durables et locaux.

Cette maîtrise de la chaîne de valeur a permis à VIU de vendre plus de 100’000 paires de lunettes en 2019. La société ne vise toutefois pas l’équilibre budgétaire pour l’instant: «Nous sommes encore en phase d’investissement, indique le CEO. Le potentiel de croissance est important en Suisse, où nous n’occupons quelques pourcents du marché des lunettes avec correction, évalué à un milliard de francs; tout comme sur le marché allemand, dont le volume avoisine les cinq milliards de francs.»

VIU, qui révèle avoir connu une croissance à deux chiffres ces dernières années, ne communique pas son chiffre d’affaires. Le prix de ses lunettes permet cependant de supposer qu’il oscille entre 20 et 30 millions de francs. Forte de son succès, l’entreprise a été distinguée par la remise d’un prix à l’Université de Saint-Gall (HSG) en 2019. «Kilian Wagner a été choisi comme HSG Founder of the Year en raison du caractère très innovant du modèle d’affaires de VIU, de ses bons résultats en 2019, de son expansion récente en Europe et de sa capacité à lever des fonds», explique Diego Probst, responsable de Startup@HSG.

Un designer touche-à-tout

L’autre grand ingrédient de la réussite de VIU réside dans sa créativité. «On s’aperçoit tout de suite que cette marque attache de l’importance au design, souligne Camille Blin de l’ECAL. Elle s’adresse à une génération de gens différents, en mettant en avant le modèle, plutôt qu’un logo, et en proposant des produits intemporels.»

Ce souci du détail, VIU le doit aux deux designers expérimentés qui l’ont fondée aux côtés des deux économistes de formation, Peter Kaeser et Kilian Wagner, et d’un opticien. Le directeur artistique Fabrice Aeberhard avait déjà de beaux projets à son actif, dont un catamaran futuriste baptisé Code-X. Il avait également co-créé la marque de sacs Qwstion, ainsi qu’une marque de lunettes en corne de bœuf suisse, destinée à une clientèle de niche.

L’entreprise a ainsi pu profiter dès son lancement d’un design couvrant tous les aspects de la marque: logo, boutiques, et bien sûr, lunettes. «Je suis inspiré par le designer allemand Dieter Rams, dont la fonction est la première priorité, relève Fabrice Aeberhard. Dans nos magasins par exemple, nous avons créé des modules d’étagères que nous pouvons réorchestrer selon les besoins. Pensés dans la durée, ils s’adaptent aux collections, à leurs tailles, leurs couleurs, etc.» La tagline «Framing Characters» traduit la volonté de VIU de refléter la physionomie du visage. «Les couleurs des montures sont volontairement inspirées de celles de la peau ou des cheveux. Les formes doivent avoir une géométrie qui fonctionne avec de nombres visages.»

Aujourd’hui, l’entreprise de 400 collaborateurs compte une quinzaine de créatifs dans ses rangs. «Nous avons désormais plus de 60 modèles, souligne le directeur de la création. Nous innovons dans les matériaux notamment. Uniquement en acétate au départ, nos montures sont désormais aussi en titane et impression 3D, fabriquées respectivement au Japon et en Belgique.»

Echouer pour mieux rebondir

La marque aurait pourtant pu ne pas survivre. En effet, l’entreprise avait été pensée au départ comme un commerce entièrement ligne, qui misait sur un essayage des montures à la maison, selon le concept du «try at home». «Environ 95% du marché suisse est cependant toujours physique, contre 5% en ligne, explique Kilian Wagner. Les consommateurs n’étaient pas prêts à changer leurs comportements. Ils souhaitaient par exemple pouvoir faire ajuster leurs lunettes ou tester leur vue.»

De fait, VIU a rapidement adapté son modèle d’affaires. «Nous n’avons pas abandonné le digital pour autant, précise le CEO. Au contraire, nous avons beaucoup travaillé pour façonner un mélange de plusieurs canaux de distribution, afin que le client passe de l’un à l’autre sans accros. Démarrer en ligne pour finir hors-ligne, et inversement.» Le client peut par exemple réserver un test de la vue en ligne, puis procéder à un essai à la maison pour trouver la bonne monture et enfin, lorsque ses lunettes sont prêtes, les faire adapter dans une boutique comme celle de Genève.

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Des dizaines de millions d’investissements

Le 20 novembre dernier, Credit Suisse annonçait injecter trois millions de francs dans VIU. «Avec cet investissement, nous soutenons l’entrepreneuriat suisse innovant et permettons à VIU de poursuivre et de développer son activité, a précisé Elios Elsener, CEO de Credit Suisse Entrepreneur Capital dans un communiqué. Son évolution jusqu’ici est impressionnante et nous voyons un grand potentiel pour le succès de l’entreprise, qui s’appuie à la fois sur les canaux numériques et le commerce stationnaire.»

Auparavant, les Zurichois avaient réussi à convaincre des investisseurs privés et des family offices suisses pour le démarrage de leur entreprise. En 2018, c’était au tour du grand fond américain de capital-risque Eight Roads Venture de faire confiance à la marque. Il avait donné un coup d’accélérateur au développement de l’entreprise, au moyen de plusieurs dizaines de millions de francs, selon le site Startupticker.ch. «Expérimenté dans le digital, avec une présence internationale, ce partenaire était précieux pour notre expansion à l’étranger et l’ouverture des quelque 20 boutiques supplémentaires réalisée ces deux dernières années», précise Kilian Wagner, CEO.