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Fuir à Singapour

Le forum de Davos délocalisé, des cantons qui approuvent les assouplissements du Conseil fédéral mais avec des bémols: l’ère post-Covid s’annonce plus «trouille au ventre» que  «grand reset».

«A la lumière de l’évolution de la pandémie, nous avons conclu que [Singapour] était le lieu le plus sûr pour tenir notre événement annuel», communiquait le Forum économique mondial (WEF) fin 2020 par rapport à sa prochaine édition. Si l’on a encore des doutes sur l’évolution de la pandémie en Suisse, sur le bien-fondé du plan de sortie du Conseil fédéral, sur la réouverture progressive des lieux publics, autant observer ce que font les puissants de ce monde.

Les plus puissants, à savoir ceux du Forum économique de Davos, se réunissent donc ces jours à Singapour. Une décision certes prise en décembre dernier déjà, quand la Suisse se reconfinait frileusement, tandis que Singapour ne comptait qu’une petite centaine de cas de Covid.

Singapour, vous savez, cette presqu’île comme hors du monde qui a inventé la dictature à visage humain. Sans doute le cocktail idéal, évidemment inapplicable sous nos aimables latitudes, pour tenir à distance n’importe quel virus.

C’est donc dans un paradis financier et sanitaire que les grands présumés de ce monde ont été appelés à plancher sur un thème, fixé depuis des mois, au petit coup goût canaille et piquant de vieille sauce altermondialiste: le grand reset, la grande réinitialisation, consistant à «construire un système économique et social pour un avenir plus juste, plus durable et plus résistant». Comme si c’était fait.

On pourrait même ne plus finir de s’extasier sur la principale force de frappe de cette épidémie nettement moins virulente et mortelle que la plupart de celles qui ont décimé l’humanité au cours de son histoire, entre peste, choléra et grippe espagnole: avoir en quelques mois transformer des requins notoires en agneaux ouvertement bêlants.

Pourtant, des rumeurs avaient un temps laissé entendre que le WEF pourrait se réunir sur les hauteurs du Bürgenstock dans le demi-canton de Nidwald. Mais le monde fou de 2021 est donc celui où un endroit comme le Bürgenstock n’est plus considéré comme suffisamment sûr ni sain.

Rappelons quand même ce qu’est le Bürgenstock: un site très jet set –dans le gentil monde d’avant, on aurait pu y croiser, suivant les époques, Charlie Chaplin, Kofi Annan, Sofia Loren, Audrey Hepburn-, perché sur un éperon rocheux au-dessus du lac des Quatre-Cantons, doté d’hôtels de luxe, de centres de bien-être et de plusieurs restaurants gastronomiques. Et aujourd’hui, dans nos esprits apeurés, à peine mieux qu’un simple coupe-gorge.

Les puissants de ce monde ne sont pas les seuls à faire assaut de prudence, à avoir développé comme une addiction sévère au redoutable principe de précaution. Nos cantons, très fiers-à-bras quand même lorsqu’il s’agissait de pester contre les mesures confinatoires promulguées par Alain Berset, le caudillo de Belfaux, ont aussi des doutes.

Certes, la Conférence des gouvernements cantonaux de la santé (CDS) approuve les nouveaux assouplissements prévus par le Conseil fédéral, notamment la réouverture possible fin mai non plus seulement des terrasses mais des restaurants dans leur entier. Mais ils trouvent aussi  que cela va un peu vite, que ces modifications constantes rendent plus difficiles le respect des règles par la population.

Ce qui revient un peu à sous-entendre que les administrés cantonaux sont un peu et naturellement durs à la comprenette, tout juste capables de décrypter des notions bien binaires, comme ouverture et fermeture, mais rien entre deux. La même défiance est exprimée sur la capacité et la souplesse des organisateurs d’évènements, des écoles, des établissements de restauration, des institutions culturelles, des clubs sportifs qui «auraient de la peine à s’adapter toutes les deux ou trois semaines». Ce qui selon la CDS, exprimé dans le sabir administratif habituel, donne: «avec des étapes d’ouverture moins nombreuses mais plus claires il est possible d’éviter une micro-gestion difficilement supportable dans la mise en œuvre des mesures.»

Et puis, comme l’a rappelé dans sa grande prudence le ministre jurassien de l’économie et de la santé, Jacques Gerber: «Il ne faudrait pas que ces plaisirs partagés entre amis à une table de restaurant ne relancent l’épidémie.»

Bien sûr, tout serait plus simple et plus facile si tout le monde avait la bonne idée d’habiter Singapour.