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Quand la piétaille «terrasse» les mandarins

Pour la première fois, le Conseil fédéral semble donner raison au sentiment populaire contre l’avis des blouses blanches. Un risque sans doute pas si fou qu’il en a l’air.

«Rouvrez-les, rouvrez les grandes!» Ce cri de guerre avait été celui de l’écrivain Marcel Aymé après la fermeture des maisons closes en 1946. C’est ce même élan du cœur qui retentissait toutes ces dernières semaines dans notre pays, sous forme d’émeutes, de désobéissances, de fêtes et de restaurants clandestins.

On ne sait pas si c’est cette pression populaire qui a fait renoncer le Conseil fédéral à ce qui avait jusqu’ici statut de tables de la loi et de saints évangiles: les indicateurs retenus pour mesurer l’état de la pandémie. Alain Berset, un peu à la stupéfaction générale, s’est donc cette fois assis franchement dessus, en ouvrant terrasses, fitness, lieux culturels et amphithéâtres.

Et ce malgré quatre indicateurs défavorables sur cinq, le seul feu vert étant celui de la faible occupation des lits en soins intensifs. Il est vrai qu’avec des malades du Covid représentant 4% des patients dans les hôpitaux suisses, tous services confondus -chiffres de l’OFSP-, il était difficile de continuer à sonner longtemps le tocsin, malgré les papes de la Task force qui réclamaient 3 mois de fermetures supplémentaires.

Difficile de ne pas reconnaître ici un certain courage: celui d’avoir opté pour l’avis de la piétaille contre celui des pontifes. En se rappelant peut-être que d’autres prises de risque -par la Confédération, les cantons ou les communes-, se sont bien terminées. Après les rassemblements électoraux de Moutier, l’ouverture des remontées mécaniques cet hiver, la réouverture des musées et magasins non essentiels le mois dernier, les prévisions des Cassandres en blouses blanches qui promettaient des flambées d’infection ne se sont jamais réalisées.

Mais ce qui est concédé à un bon peuple au bord de la crise de nerfs reste bien ténu. Les restaurants oui, mais seulement les terrasses. Les théâtres, les cinémas, oui, mais avec des jauges tellement restrictives qu’elles risquent de faire ressembler toute manifestation à une aimable réunion paroissiale.

Mais c’était sans doute le prix à payer pour réaliser l’entrechat acrobatique et périlleux auquel se livre le ministre de la santé. A savoir, comme le dit le politologue René Knussel, tenir compte d’une «situation sanitaire qu’on ne contrôle pas, tout en cherchant l’adhésion de la population qui est aujourd’hui indispensable».

On peut aussi imaginer que les contours qui commencent à s’affiner de la facture occasionnée par la politique confinatoire aient pu faire réfléchir: 14 milliards de déficit confédéral pour l’année 2020, contre 11 milliards de bénéfice en 2019. Et pour 2021, une chute de 20% des offres d’emploi au premier trimestre.

Pas sûr en revanche que ce changement de cap du Conseil fédéral doive beaucoup à l’avis de droit demandé par GastroSuisse, ni à sa tonitruante conclusion: que «le processus décisionnel du Conseil fédéral quant aux mesures contre le coronavirus est illicite». Pas moins. Il y est stipulé aussi que le gouvernement aurait du «adapter et élargir les valeurs de référence et élaborer des indicateurs qui prennent également en compte les aspects économiques et sociaux». Comme par exemple, «le taux de chômage par branche ou le nombre d’hospitalisations dans les cliniques psychiatriques.»

Mais après tout, pourquoi ne pas supposer que le Conseil fédéral se soit offert une petite folie pour en éviter une bien plus vaste?