Blouson de cuir et sac de voyage à la main, Milan (Johnny Hallyday) descend sur le quai désert d’une gare de province. L’homme a beaucoup bourlingué. Il a été cascadeur dans un cirque avant de devenir braqueur de banques.
Fatigué, il rêve de se poser. Dans une des rues de la petite ville morte qu’il a choisi pour son dernier hold-up, il croise Manesquier (Jean Rochefort), professeur de lettres à la retraite, pantouflard pétillant, qui s’apprête à subir un triple pontage.
Milan le taciturne accepte de Manesquier le bavard qu’il l’héberge dans sa demeure de famille à moitié en ruines. En quelques jours, les deux hommes sympathisent et s’aperçoivent qu’ils ont passé à côté de leur vie, chacun enviant celle de l’autre.
L’histoire de «L’Homme du train» est sans intérêt, sauf à adorer l’émission de Laurence Ferrari, «Vis ma vie» ou d’y voir la version masculine, senior et non pathologique de «JF cherche appartement».
L’histoire est sans intérêt parce que seule compte la rencontre improbable de deux personnages et, mieux encore, la confrontation de deux tempéraments d’acteurs, à priori très différents l’un de l’autre. A posteriori aussi d’ailleurs! Car si le scénario veut que Milan et Manesquier puissent parfois s’échanger leur vie, le réalisateur, lui, souhaite au contraire que Johnny Hallyday et Jean Rochefort restent tels qu’en eux-mêmes, chacun porteur de son univers spécifique, intransmissible.
L’expérience chimique menée par Patrice Leconte – plonger deux corps dans le même bain – se révèle concluante. Johnny est confirmé dans sa nature rock and roll et son énergie de félin vieilli par Rochefort — lequel est certifié 100% branquignol classieux par Hallyday. Complémentaires, comme on le dit des couleurs, ils se mettent mutuellement en valeur. Les deux acteurs n’incarnent personne d’autre qu’eux-mêmes; ils sont simplement déguisés en personnages pour mieux révéler leur nature. D’où le charme et l’intérêt quasiment documentaire de cette comédie, dont l’humour repose sur le principe décalé du «à qui ça s’adresse?»
Quand Milan demande à Manesquier la faveur d’essayer ses charentaises, et qu’après les avoir enfilé il déclare sérieux comme un pape: «J’ai passé à côté de ma vie!», la réplique n’est drôle que parce qu’elle est dite par Johnny. De même lorsque Manesquier se rend chez le coiffeur pour couper plus court et plus fou, c’est le Rochefort du «Mari de la coiffeuse», autre film de Leconte, qui vient à l’esprit.
«L’Homme du train» exige donc du spectateur qu’il connaisse à la fois la mythologie de Johnny et celle de Rochefort, symbolisée chacun par un totem musical: les guitares de Ry Cooder pour le premier, le piano de Schubert pour le second.
En mélangeant les deux, on obtient une sorte de western à la Simenon. Toute proportion gardée, il y a du Chabrol dans «L’Homme du train» (la province morbide, la folie qui se cache derrière les convenances, les frustrations sexuelles) mais aussi du Clint Eastwood dans cette belle manière de filmer la fatigue, la vieillesse, le crépuscule des choses, tout en s’en moquant un peu.
La part d’ironie revient sans conteste à Jean Rochefort qui, de sa moue gourmande de cardinal frappadingue, balance des aphorismes comme autant de mots d’auteur. On ne résiste pas non plus à sa démonstration sophiste concernant le sport et la vieillesse: «A un certain âge, tout demande un effort: monter les escaliers, descendre les poubelles, porter les courses, etc. On ne le dit jamais, mais tous les vieillards sont des gymnastes!»
«L’Homme du train» serait un film accompli et réussi s’il ne durait que le temps d’un moyen métrage. Hélas, posées les deux ou trois bonnes idées du film et installé le climat «désert bleu» qui régit l’ensemble, la comédie de Patrice Leconte finit par être contaminée par son esprit de système – et détruit par une fin mélodramatique assez ridicule.
L’inversion des signes et comportements entre Johnny et Rochefort, aussi amusant soit-il, ne saurait constituer un sujet cinématographique à part entière. On se lasse de voir Hallyday fumer la pipe alors que Rochefort enfile des vestes à franges. Privé d’enjeu dramatique, le film reste à la surface des images, sans jamais les pirater, les métamorphoser ou les transcender. Johnny reste Hallyday; Jean continue à faire du Rochefort et Patrice Leconte à tourner des films dont, trop souvent hélas, l’univers particulier finit par devenir du folklore.
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«L’Homme du train», de Patrice Leconte, avec Johnny Hallyday, Jean Rochefort, Nelly Borgeaud et Jean-François Stévenin.