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Bonnes travailleuses et sans parlote

Le relèvement de l’âge de départ à la retraite des femmes, plusieurs fois refusé par le peuple, effectue un énième retour dans le cadre d’AVS 21. Bonjour l’imagination politique.  

Jacques Brel les voulait «bonnes travailleuses, sans parlote». Il semble que ce soit cette vision des femmes chère au chanteur belge dans son «Knokke-le-Zoute tango» qui prédomine encore en 2021 sous la Coupole fédérale. Le relèvement de l’âge de l’AVS pour les femmes paraît en effet y être un fantasme tenace, à droite essentiellement. Et ce malgré une volonté populaire clairement exprimée dans un passé relativement récent, puisque refusé en votation en 2004 puis en 2017 avec le rejet de Prévoyance vieillesse 2020.

Pourquoi alors, s’entêter et revenir dans la nouvelle réforme AVS 21, en examen cette semaine au Conseil des Etats, à une augmentation de 64 à 65 ans? Évidemment, ce n’est pas la première fois que la même classe politique -qui n’a jamais assez de mots fleuris et d’yeux mouillés pour chanter cette formidable exception mondiale que représente la démocratie directe suisse-, s’assoit tranquillement dessus quand le résultat des urnes ne lui convient pas.

En l’occurrence, on pourrait diagnostiquer sans trop de risque qu’un peu de paresse et de manque d’imagination sont à l’œuvre ici, assaisonnés avec des soucis d’experts comptables et un zeste d’idéologie. Travailler plus, c’est bon pour la santé, même s’il faut entendre surtout la santé des finances fédérales et de l’économie.

On trouve d’ailleurs l’idéologie inverse à gauche -travailler fatigue-, qui a abouti dans certains pays à des décisions drastiques comme entre autres les 35 heures et la retraite à 60 ans. Elles aussi sont largement coupées des réalités et n’ont amélioré ni la santé des travailleurs, ni bien sûr celle de l’économie, et de façon plus inattendue, n’ont été d’aucune aide dans la lutte contre le chômage.

Sauf qu’ici on parle d’une retraite fixée à 64 ans pour les femmes, un âge qui n’a rien d’abusif, et serait même jugé très élevé dans nombre de pays, européens en tout cas. D’autant moins abusif que tout cela se passe dans un des États censément les plus riches du monde.

L’argument massue de cette réforme est que le relèvement à 65 ans permettra, couplé avec la réforme fiscale des entreprises adoptée en 2019, d’équilibrer l’AVS jusqu’en 2030. Calculette en mains, ce n’est évidemment pas faux. Pourtant ce sont les mêmes sourcilleux gardiens de l’orthodoxie financière qui viennent de jeter tous ces beaux principes au fossé depuis une année.

Et ce en forçant à l’arrêt, sans état d’âme, une partie de l’activité économique de crainte de voir leurs beaux hôpitaux puissamment réformés au brûle-graisse néo-libéral –y compris par des hommes de gauche-, débordés par la première crise sanitaire venue. Quitte à déverser des milliards d’aide sans compter. Avec les résultats très mitigés que l’on connaît, sans aller jusqu’à dire comme le provocateur UDC et candidat pour la galerie au Conseil d’Etat genevois, Yves Nidegger, que ces mesures «ont tout arrêté sauf le virus».

Ce qui est sûr, c’est qu’en comparaison aux dégâts économiques auxquels aboutit la politique sanitaire du Conseil fédéral contre le Covid (et qu’il faudra bien réparer), maintenir à flot l’AVS en conservant le départ à la retraite pour les femmes à 64 ans apparaît comme un défi ridiculement facile à relever.

Reste un ultime argument en faveur d’AVS 2021: de dire aux femmes, vous voulez l’égalité, la voici, 65 ans pour tout le monde, et baste. A quoi les femmes ne seront pas en peine pour rétorquer: d’accord, à condition de commencer par l’égalité salariale.

Jacques Brel les voulait aussi «mi-andalouses, mi-anguleuses». AVS 21 ne semble pas moins à côté de la plaque.