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«Chronosophie» et les autres mots de mars

Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes «chronosophie», «bélonéphobie» et «possiblement».

Chronosophie

«Nous n’avons plus le temps. Nous sommes sur cette planète, des centaines de millions dans ce cas, qui répétons plusieurs fois par jour: “Je suis désolé, je n’ai pas le temps”.» Ainsi débute «Avoir le temps» de Pascal Chabot. Prendre de ce temps si rare pour lire l’«Essai de chronosophie» sur la sagesse du temps du philosophe belge, c’est mettre fin à cette impression de pénurie. Au fil de ses deux cents pages, on acquiert une sagesse bien éloignée des suggestions du développement personnel. Expérience faite, on adopte sans retenue sa conclusion: «S’il y a un universel humain, c’est celui-là: nous avons le temps! Un peu de temps… Un peu de temps de qualité, travaillons-y…Et profitons-en!». En profiter, par exemple, pour lire «Je n’ai pas le temps d’attendre», le récit de l’écrivain Jean-Louis Fournier sur son rapport pas toujours sage au temps.

Bélonéphobie

En quelques semaines, chacun a vu dans les médias des centaines de bras nus se prêter de bonne grâce à l’injection d’un vaccin. Les visages détendus, souriants même, de leurs propriétaires n’étaient pas ceux de personnes souffrant de bélonéphobie. Aucune trace d’images de celles et ceux qui ont peur des aiguilles (belone en grec)! Estimée à 10% de la population, c’est pourtant une minorité non négligeable.

Pour surmonter leur crainte, il est conseillé à ceux qui souffrent de cette phobie de ne pas regarder l’aiguille et de penser à autre chose au moment crucial. La reine d’Angleterre vient d’évoquer un autre moyen de surmonter la bélonéphobie: l’altruisme. Pour encourager ses compatriotes à se faire vacciner contre le Covid-19, elle explique que la piqûre ne lui «a pas fait mal» et qu’il fallait «penser aux autres».

Possiblement

«Possiblement » pourrait bien réintégrer les dictionnaires sans les mentions «vieilli» ou «rare» qui l’accompagnent. Son usage décolle. L’adverbe semble approprié à l’actuelle période d’incertitude qui rend aléatoires les projections et relègue les «certainement» aux oubliettes. Tout s’avère, dans le meilleur des cas, «possiblement» envisageable.

Quand l’avenir devient illisible, hypothétique, il paraît opportun d’adopter un vocabulaire idoine. Ce que concrétise l’emploi de plus en plus fréquent de «possiblement». Pourquoi le préférer à ses synonymes, «peut-être» et «vraisemblablement», qu’on lui préférait avant la pandémie? Pour opérer une distinction avec l’irruption d’un conditionnel suscité par de nouveaux aléas? Possiblement.