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Le bon dos de la Constitution

Il arrive que Guy Parmelin parle normalement, comme vous et moi. Dernièrement encore, face aux nombreuses critiques fustigeant la timidité des nouvelles mesures d’assouplissement, concédées du bout des lèvres par un exécutif aux abois perpétuels, le ministre de l’économie a rétorqué avec une phrase limpide, sereine et inattaquable: «C’est le rôle du Conseil fédéral prévu par nos institutions et notre Constitution que de prendre des décisions et d’en assurer la responsabilité même si elles ne font pas l’unanimité.»

Tout juste, Auguste. Même s’il n’est pas tout à fait évident que la Constitution encourage des mesures aussi baroques et capricieuses que la restriction de toute réunion privée à cinq personnes au maximum. Ou encore des types d’activités, comme le chant choral ou les compétitions sportives, réservées uniquement aux citoyens nés après une date tombée d’on ne sait quel ciel arbitraire -2001 en l’occurrence.

Sans parler des critères, comme tirés au hasard, retenus par le Conseil fédéral pour une éventuelle réouverture des restaurants aux calendes grecques. Il faudra, par exemple, que le nombre de lits occupés aux soins intensifs par les malades du Covid ne dépasse pas 250. À 251, branle-bas de combat, agitation du tocsin, tous aux abris. Pourtant s’il y a bien une chose que la Constitution, la nôtre en tout cas, réprouve absolument, c’est le pur fait du prince, dont on semble ici se rapprocher avec une constance aussi tenace qu’une courbe de virus.

Il faut pourtant répondre aux reproches corrosifs, comme ceux formulés par économiesuisse dans un communiqué de presse fin février: «Comme le système de santé ne court plus le risque d’une surcharge rapide, l’Etat perd sa légitimité à restreindre à ce point les libertés individuelles et économiques.» Ou de l’UDC, par son président Marco Chiesa: «Les gens ont envie de vivre. Le Conseil fédéral rend malade une population saine.» On pourrait se contenter, Constitution à la main, de soupirer qu’il faut prendre cela d’où ça vient. Sauf que ce serait tomber dans un biais trop fréquent: confondre le message et le messager, et retoquer l’un au nom de l’autre.

C’est d’ailleurs ce même biais que l’on retrouve à propos de l’initiative sur l’interdiction de se dissimuler le visage, que nombre d’organisations féministes qualifient de sexiste et d’islamophobe. Le messager c’est sûr, en l’occurrence l’UDC, peut être légitimement soupçonné de ces deux travers, mais ce n’est pas le cas du message lui-même. Le texte de cette initiative n’a rien de sexiste ni d’islamophobe.

C’est ce que martèle, de façon aussi sereine et limpide qu’un Parmelin invoquant la Constitution, l’imam suisse d’origine albanaise officiant à Berne, Mustafa Memeti: «Le niqab n’est pas un symbole religieux et n’a aucun fondement théologique. C’est un phénomène qui a été inventé par des forces islamistes puritaines d’une époque révolue. Rien, dans la théologie islamique, n’oblige une personne à se couvrir les mains et le visage. Dès lors, il n’y a aucune raison de défendre ce vêtement.»

Pour en revenir à la pandémie -terme peut-être un peu ronflant pour 250 malades en soins intensifs-, admettons que l’on puisse écarter d’un revers de main dédaigneux la mauvaise humeur d’économiesuisse et de l’UDC, soupçonnables de ne voir que leurs intérêts corporatistes ou politiciens.

Mais que dire si ça avait été, par exemple, Victor Hugo? Voici en tout cas ce qu’écrivait le colossal personnage en septembre 1846: «Dans les temps de peste, sans négliger les procédés d’assainissement et d’hygiène, il faudrait distraire le peuple par de grandes fêtes, de grands spectacles, de grandes émotions. Personne ne s’occupant de l’épidémie, elle s’évanouirait.»