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Aimer son travail à en devenir malade

Le nombre de cas de burn-out ne cesse d’augmenter en Suisse ces dernières années et la crise sanitaire fait craindre une nouvelle accélération du phénomène. Comment éviter qu’un employé modèle ne finisse à l’arrêt?

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

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André est l’employé modèle: créatif, motivé, hyper investi, sympathique et peu regardant sur les heures supplémentaires. Des comme lui, son chef en aimerait dix dans l’équipe. La pilule est d’autant plus amère lorsqu’un matin, il reçoit un coup de fil d’André qui lui annonce, d’une voix éteinte, qu’il ne reviendra pas de sitôt au bureau, son médecin l’a mis en arrêt de travail pour burn-out.

En Suisse, le phénomène n’a cessé de s’aggraver ces dernières années. Selon les résultats du dernier «Job Stress Index» de Promotion Santé Suisse, qui portent sur un sondage mené juste avant le début de la crise du Covid-19, le stress au travail coûte 7,6 milliards de francs par an aux entreprises suisses. La même étude révèle qu’environ 3 salariés helvétiques sur 10 se trouvent en zone critique, c’est-à-dire qu’ils ont plus de contraintes liées au travail que de ressources pour y faire face. En 2014, la part se situait encore autour de 25%. Ces dernières années montrent donc une recrudescence du phénomène.

Monde du travail en mutation

«L’une des raisons est à chercher du côté de l’évolution du monde travail, notamment de la digitalisation, du multi-tasking et de l’accélération du rythme», avance David Grandjean, responsable sensibilisation et diffusion de la gestion de la santé en entreprise chez Promotion Santé Suisse. Parallèlement, «le fait que les attentes des individus par rapport au travail ont fortement changé entraîne davantage de déséquilibres entre vie privée et vie professionnelle».

Hommes, femmes, jeunes, vieux, collaborateurs ou cadres: tous sont susceptibles d’être confrontés au burn-out. Néanmoins, l’épuisement professionnel ne frappe pas sans discernement. «La personne qui fait un burn-out est souvent le meilleur employé de la boîte», constate Nadia Droz, psychologue et co-auteure du livre «Burnout, la maladie du XXIe siècle?», paru aux Editions Favre. «En consultation spécialisée, je ne rencontre que des gens qui adorent leur boulot!» Mais il ne suffit bien évidemment pas d’être motivé et très investi sur son lieu de travail pour être menacé par le burn-out. A l’échelle individuelle, «un faisceau de conditions doit être réuni», telles que le perfectionnisme, la forte identification au rôle professionnel et parfois une vie familiale et sociale porteuse de stress chronique.

Défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme un épuisement lié au travail –et non pas comme une maladie–, le burn-out est un fléau sanitaire pour la société et les entreprises à travers le monde. Néanmoins, à l’image de l’OMS, la Suisse ne considère pas le burn-out comme une maladie. Une initiative parlementaire visant à faire prendre en charge cette affliction par l’assurance accident de l’employeur plutôt que par l’assurance maladie de l’employé, a été refusée par le Conseil national en juin 2019. A l’inverse, plusieurs pays d’Europe dont la France, la Suède et les Pays-Bas, ont franchi le pas.

Une véritable culture du dialogue

Plusieurs signes peuvent alerter un chef d’équipe qu’un de ses collaborateurs fait ou présente de grands risques de faire un burn-out. «Par exemple le fait qu’il aligne les heures supplémentaires tout en étant de moins en moins efficace, cite la psychologue du travail Nadia Droz. Ou encore que son taux d’erreurs et d’oublis augmente, et qu’il paraît irritable». Moins évident à observer, les troubles du sommeil et l’angoisse sont deux autres indices assez typiques. «La personne qui se trouve en début de burn-out est généralement dans le déni, affirmant haut et fort qu’elle va arriver à assumer toutes ses tâches, ce qui complique la détection.» Or, plus il est pris en charge tard, plus l’épuisement professionnel est difficile et long à soigner. «Dans le cas d’un ‘vrai’ burn-out, c’est-à-dire d’un effondrement, la durée moyenne de l’arrêt de travail est de 3 à 6 mois», dit Nadia Droz.

Repérer un collaborateur en burn-out, c’est bien; agir en amont, c’est encore mieux. «Plutôt que de se demander si tel ou tel employé ne va pas bien, les managers devraient être à l’écoute de leurs équipes entières, poursuit la spécialiste. Des plaintes à répétition quant au rythme, aux horaires ou aux conditions de travail devraient alerter.» Nadia Droz en est convaincue: «Les personnes les mieux à même d’anticiper les problèmes de stress chroniques et d’y apporter des solutions concrètes, ce sont les collaborateurs eux-mêmes.» Mais encore faut-il les consulter. David Grandjean de Promotion Santé Suisse abonde: «Un cadre qui est réellement à l’écoute de son équipe verra les signes en amont.» Il est donc important «d’instaurer une véritable culture du dialogue dans l’entreprise», dit-il.

Valoriser la santé au travail

De l’avis de David Grandjean, la proximité entre les managers et leurs collaborateurs a encore gagné en pertinence avec la crise du Covid-19. «Le home-office a simultanément accéléré le travail et isolé les membres des équipes.» Dans ce contexte, un bon chef est celui «qui debriefe régulièrement avec ses collègues, qui leur demande comment ils vont et qui écoute leur réponse».

A ce stade, la fondation ne dispose pas de chiffres permettant de connaître l’impact de la pandémie sur le stress professionnel. A noter qu’au début de la deuxième vague de l’automne 2020, plusieurs spécialistes suisses de la prise en charge du burn-out ont affirmé dans les médias être confrontés à une recrudescence des cas. En France, une étude réalisée lors du reconfinement parvient à la conclusion que 49% des salariés éprouvent de la détresse psychologique, contre 42% en mai 2020. A l’échelle managériale, la part atteindrait même 58% (contre 48% en mai).

D’après David Grandjean, les entreprises détentrices du label «Friendly work space», qui définit le standard de qualité suisse pour une mise en œuvre systématique de la gestion de la santé en entreprise (GSE), semblent mieux résister à la crise Covid-19 que les autres. La psychologue Nadia Droz confirme: «Lutter contre le burn-out passe par la prévention primaire, c’est-à-dire un travail directement sur la culture de l’entreprise. Et se préoccuper de la santé des collaborateurs n’empêche pas de gagner de l’argent; bien au contraire!»

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Lexique

Le burn-out, ou épuisement professionnel, est défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme le syndrome résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été correctement géré.

Le bore-out constitue le type opposé d’épuisement professionnel. Il est caractérisé par un ennui profond ou une perte d’intérêt sur le lieu de travail.

Le brown-out représente forte baisse de l’engagement provoquée par le manque de sens, voire l’absurdité, des tâches à accomplir.