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La clochette du lépreux

L’idée d’un passeport sanitaire fait bondir les défenseurs des libertés. En oubliant que choisir c’est aussi assumer.

C’est la grande tentation du moment. On en parle partout, sous chaque latitude: un passeport Covid. Autrement dit un document officiel qui attesterait que son porteur se soit bien fait vacciner. Comme tout passeport, celui-ci serait censé faire œuvre de sésame et pourrait être exigé, par exemple pour emprunter les transports publics ou assister à des manifestations du genre concerts ou matchs de foot.

Curieusement, dans une époque qui n’hésite plus à punir, sans jugement ni tribunal sauf celui de la vindicte populaire et numérique, le plus petit mot de travers, le moindre geste mal interprété, entraine déjà des cris de toute part à propos de ce passeport Covid, à la mise en péril des libertés individuelles. Avec comme effet de ressortir des vieux frigos la tarte à la crème d’une société à deux vitesses.

À l’inverse de la fameuse cloche du lépreux, c’est ici l’absence de sonnaille au cou, autrement dit de passeport Covid en poche, qui ferait œuvre de stigmatisation. Liberté pour les vaccinés, confinement à perpétuité pour les rétifs à la piquouse.

En Suisse, tandis qu’organisateurs de concerts et dirigeants de clubs sportifs envisagent déjà cette idée de passeport sanitaire, l’autorité politique tâtonne. L’Office fédéral de la justice (OFJ) a déjà fait savoir qu’il faudrait créer une base légale avant toute tentative d’introduire un passeport Covid dans des prestations de l’Etat, mais que dans la sphère privée, rien ne pouvait s’opposer à un traitement discriminatoire entre vaccinés et non vaccinés.

Les restaurants, coiffeurs et autres pourraient donc très bien exiger que l’on montre patte blanche avant d’être autorisé à entrer. «C’est ici le principe de l’autonomie privée qui s’applique. En d’autres termes, chacun est libre de décider avec qui il souhaite entrer dans une relation contractuelle», explique l’OFJ.

À condition toutefois, ajoute l’Office, que soit respectée la sacro-sainte protection des données. C’est ici une autre tarte à la crème, qui vient frapper de plein fouet l’envol du passeport Covid. Le préposé fédéral à ladite protection trépigne déjà, soutenant que l’exigence par des entreprises privées d’un tel document violerait la loi.

L’UDC, par la voix du conseiller national valaisan Jean-Luc Addor, embouche de même la trompette de l’indignation, entrevoyant déjà un glissement «vers une dictature sanitaire» et la création de «citoyens de seconde zone», à savoir les non vaccinés. Et ce sans considérer un seul instant -la vaccination n’étant pas obligatoire- que ces citoyens-là se seraient mis de leur propre chef, et en toute liberté, sur la touche.

Le PLR (au nom de la liberté contractuelle et du pragmatisme -ou le confinement sans fin-), ainsi que le PS (à condition que les prestations de l’Etat, par exemple les CFF, ne soient fermés à personne puisqu’il n’existe pas d’alternatives) semblent admettre l’idée d’un passeport sanitaire sans devoir légiférer. Aucune majorité politique ne se dégage pourtant pour l’instant, dans un sens ou dans l’autre.

Ce qui est un peu dommage, surtout si on admet que la liberté la plus fondamentale a ici été respectée, et que c’est seulement si la vaccination avait été obligatoire que l’on aurait pu parler à bon droit de «dictature sanitaire».

Le fait que le vaccin soit laissé au libre choix n’implique pourtant pas que cette décision n’entraine aucune conséquence. Si la définition, et l’honneur, de toute démocratie est de pratiquer la tolérance y compris de l’intolérable, du complotisme le plus sot, de l’obscurantisme le plus trouble, c’est aussi son rôle d’exiger à minima que l’obscurantisme en question assume son obscurité.

Vous refusez, pour 36’000 raisons qui vous semblent plus excellentes les unes que les autres, de vous faire vacciner? Libre à vous, à condition, s’il vous reste un semblant, même ténu, de cohérence et de responsabilité, d’attendre sagement avant de sortir de chez vous la fin de l’épidémie ou l’immunité collective, c’est-à-dire la semaine des quatre jeudis.