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Kafka sous le sapin

Ça monte et ça descend, va et vient, ouvre et ferme, et quand c’est fini, ça recommence. Il est passé par ici, il repassera par là. Telle est la vie sous virus, avec sa danse à la mode, le stop-and-go.

Plus le temps passe pourtant, plus les danseurs s’épuisent et, à l’orée des fêtes, c’est un consensus maous qui se dessine. La task force Covid-19, le Conseil fédéral et les partis gouvernementaux semblent vouloir faire assaut de pessimisme, ne se raccrochant plus qu’à un seul mot. Vaccin? Vous voulez rire: confinement, et baste. Bis et même ter repetita s’il le faut.

On sent même de la lassitude chez ceux qui s’étaient montrés jusqu’ici très irréductibles, comme les cafetiers-restaurateurs en colère. Au point que le débat qui dure depuis des mois -sauver le système sanitaire ou sauver l’économie- est en train de disparaître, remplacé par une doxa de moins en moins contestée. L’économiste Marius Brülhart, membre de la fameuse task force, résume: «Si on ne maîtrise pas le virus, on pénalise l’économie.»

C’est ce qui s’appelle tirer la prise, en transformant, à peu près, l’origine du mal en cause du bien. Pour ceux qui n’auraient pas compris, qui trouveraient naïvement un peu contradictoire de faire de la restriction des activités économiques le salut de l’économie, Marius Brülhart, professeur à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne, met les points sur les «i»: «Je ne me lasse pas de dire que s’il faut choisir entre santé publique, santé économique et santé des finances publiques, la dernière est tellement bonne que c’est le moindre de nos problèmes.» En gros, c’est à ce nouvel abracadabra que la pandémie nous aura poussé: sauver l’économie en la subventionnant à ne rien faire. Les Shadoks ne sont pas loin.

Même l’UDC, seul parti gouvernemental qui s’était toujours montré réticent envers des mesures sanitaires invasives -du moins tant que le virus sévissait surtout en Suisse romande, on n’allait quand même pas mettre à genoux le pays pour des welches- oui même l’UDC ne fait plus que semblant de s’indigner.

Ainsi le truculent conseiller national Yves Nidegger commence par railler sur les réseaux sociaux une journaliste de la RTS -Jennifer Covo pour ne pas la nommer- coupable à ses yeux d’avoir, dans une interview, encouragé l’appétence confinatoire naturelle du grand mamamouchi Berset: «Du journalisme ça? Alors ma concierge mérite le Pulitzer.» Avant d’avouer dans les colonnes du journal «Le Temps» que c’était pour rire, par bête réaction mécanique: «Je suis paramétré pour réagir de manière allergique à l’autorité arbitraire, car pas prêt à accepter la soviétisation de la société.»

Bref la messe est dite, du moins celle de Noël, et le sermon ne contient plus qu’une seule prière: tous aux abris. Ce qui pourrait donner une idée à tous ceux, désespérés, en quête d’un cadeau de dernière minute: le petit recueil de nouvelles de Franz Kafka intitulé «La colonie pénitentiaire», contenant un texte inachevé: «Le Terrier».

C’est l’histoire d’un animal sans défense et craintif, qui sous la pression, se met à creuser frénétiquement un terrier labyrinthique dont l’effet principal est en réalité d’augmenter son angoisse. Au point même de songer à renouer avec «cette triste vie d’autrefois qui ne m’assurait aucune sécurité, qui ne représentait qu’une suite ininterrompue de périls et ne me laissait par conséquent ni le temps de voir ni le loisir de redouter chaque danger en particulier, comme m’y poussent maintenant à chaque instant les comparaisons que j’ai établies entre la sécurité de mon terrier et les incertitudes du dehors». Mais sa tentation de grand air se trouve vite maîtrisée: «Une telle décision serait une complète folie que pourrait seul provoquer l’attardement dans cette insane liberté.»

N’en sommes-nous pas un peu là, et n’est-ce pas ainsi que nous apparaît de plus en plus la liberté en cette fin d’année 2020: insane?