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Nourrissons : le grand bain chimique

De l’état de fœtus jusqu’à leurs premiers mois de vie, les bébés sont exposés à toutes sortes de polluants. Même si les données sont encore parcellaires, des voix s’élèvent pour appeler à une plus grande vigilance de la part des parents, mais aussi de l’industrie.

Jamais l’être humain ne change aussi rapidement qu’intra-utero et lors de sa première année d’existence. «Les organes sont en pleine croissance et c’est une période de grande vulnérabilité», explique Céline Fischer Fumeaux, médecin au Département femme-mère enfant du CHUV. Malgré la protection offerte par une alimentation assurée par la mère – au travers du cordon ombilical d’abord, puis du lait maternel –, divers polluants réussissent tout de même à franchir ces barrières naturelles. «Les enfants ont malheureusement ensuite toute leur vie pour développer les effets de ces mauvaises expositions.»

Dans le sang du cordon ombilical par exemple, une étude américaine a détecté en 2005 plus de 287 substances chimiques chez 10 nouveau-nés. Il s’agissait aussi bien de pesticides que de molécules utilisées dans divers produits du quotidien ou encore de résidus de l’incinération de déchets et de la combustion fossile.

Une autre recherche plus récente a également montré le franchissement de la barrière placentaire. Une équipe du Centre des sciences de l’environnement de l’Université de Hasselt en Belgique a ainsi découvert en 2019 des particules de suie dans le placenta de 28 femmes. La proximité avec un grand axe routier influait sur la quantité de particules retrouvées.

Un lait maternel contaminé ?

À la naissance, l’exposition aux polluants se complexifie : elle peut désormais aussi avoir lieu par contact ou par voie aérienne. Dans les services de néonatologie de Suisse, la vigilance est de mise (lire «Surveillance des dispositifs médicaux»). Le lait maternel, qui est généralement l’aliment de base des nourrissons, fait l’objet d’une attention particulière. Il peut contenir des substances chimiques dites lipophiles, autrement dit qui s’attachent aux graisses. «Lorsque la mère déstocke ses graisses pour fabriquer du lait, qui est un liquide particulièrement riche en lipides, les polluants accumulés dans le tissu adipeux peuvent passer dans le lait, précise la doctoresse Céline Fischer Fumeaux. On parle de ‘polluants organiques persistants’ ou POP.» Il peut également renfermer certains métaux lourds (lire «Deux grandes catégories de polluants»).

Les parents ne doivent néanmoins pas céder à la panique. «Le niveau de POP dans le lait maternel a tendance à diminuer, souligne Céline Fischer Fumeaux. En Suisse, entre 2002 et 2009, les concentrations de composés chimiques comme le PCB, les dioxines ou les furanes ont été réduites de moitié. Et les taux sont inférieurs au seuil de dangerosité fixé par l’OMS.»

De manière générale, les bénéfices de l’allaitement surpassent largement les risques potentiels. «Grâce à l’allaitement, la mère transmet un grand nombre d’anticorps à son enfant, rappelle Raphaël Serreau. Le lait en poudre – même issu de l’agriculture biologique – peut contenir des polluants.» Le pharmacologue rattaché à l’Université de Bourgogne et à l’Institut Léonard de Vinci à Paris analyse depuis plusieurs années les substances chimiques présentes dans le lait maternel, en particulier les profènes. «Les anti-inflammatoires comme l’ibuprofène sont couramment prescrits pour atténuer les douleurs liées à l’accouchement. Nous avons pu observer lors d’une étude en 2012 que la quantité ingérée par le bébé allaité demeurait très faible. Il faut par contre être très prudent avec ce type de médicament durant la grossesse, car ils peuvent avoir un impact sur la croissance fœtale, au niveau des systèmes hépatique, thyroïdien et endocrinien.»

Le danger des perturbateurs endocriniens

Les données précises sur l’impact de ces expositions manquent encore, en raison de toute une série de contraintes. Un faisceau d’indices et d’inquiétudes concernant plusieurs substances est toutefois observé par des chercheurs du monde entier. La catégorie d’impacts la plus médiatisée est sans nul doute celle des perturbateurs endocriniens, soit des molécules agissant sur l’équilibre hormonal. Généticienne et clinicienne aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), Ariane Giacobino s’intéresse plus particulièrement aux phtalates. Ces perturbateurs endocriniens sont présents dans les contenants plastiques tels que les bouteilles d’eau, les pesticides ou encore les cosmétiques comme les crèmes solaires. «Nous avons exposé des souris gestantes et avons découvert des effets sur le système reproductif de leurs progénitures jusqu’à la 3génération: problèmes d’infertilité, de réduction du poids testiculaire ou encore de diminution de la distance anno-génitale. Dans ce dernier cas, le rétrécissement chez les sujets mâles indiquent une certaine ‘féminisation’.» Ces résultats ne sont certes pas transposables tels quels à l’être humain, mais ils traduisent un danger potentiel.

Les chercheurs tentent également de mettre en évidence les effets cancérogènes des substances chimiques (pouvant provoquer l’apparition d’un cancer ou en augmenter la fréquence) ainsi que leurs effets mutagènes (entraînant des altérations de la structure ou du nombre de chromosomes des cellules). «On s’intéresse aussi aux effets neurotoxiques, de certains métaux lourds par exemple, qui peuvent interférer avec le développement cérébral des nourrissons, souligne Céline Fischer Fumeaux. D’autres impacts plus spécifiques, altérant le fonctionnement des reins ou du système sanguin, sont aussi investigués.»

Les gestes barrières

Réduire l’exposition à ces polluants chez les jeunes enfants passe, entre autres, par une meilleure information des parents. Un symposium organisé par le CHUV sur le sujet a réuni en septembre dernier pédiatres, gynécologues, conseillères en lactation, sages-femmes, etc. «Le savoir doit se diffuser parmi les professionnels de la santé, affirme Céline Fischer Fumeaux, coorganisatrice. Ils doivent être capables de bien informer les parents, qui sont souvent en demande d’éclaircissements sur ces sujets.»

Des actions concrètes peuvent être mises en place par les parents, et ce, dès que le désir d’enfant se fait sentir. «Ces mesures devraient d’ailleurs être menées tout au long de la vie», explique Céline D’autres précautions concernent les substances que l’on peut ingérer. «Il faut éviter les aliments dans des emballages plastiques, privilégier des produits biologiques sans pesticides, changer les poêles en téflon dès qu’elles sont abimées, etc.» Il est recommandé de privilégier l’eau du robinet. «Les grands poissons marins sont également à proscrire en raison du risque de pollution au mercure.» Enfin, il faut veiller aux expositions de contact. «En matière de cosmétiques notamment, le moins est le mieux.»

Les pouvoirs publics jouent également un rôle important dans la protection des plus petits contre les polluants. Ils interdisent régulièrement l’utilisation de certaines substances chimiques par l’industrie, soit au nom du principe de précaution ou bien à la suite de scandales. Le bisphénol A par exemple est banni de tous les articles de puériculture en Suisse depuis 2012.

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Deux grandes catégories de polluants

Polluants organiques persistants ou pop

Les pesticides, les dioxines et furanes issus notamment de l’incinération de déchets ou de combustion dans les moteurs, ou encore les PCB sont autant de substances chimiques qui subsistent très longtemps dans l’environnement. On trouve par exemple encore des traces de PCB dans les sols alors que leur utilisation (dans les graisses industrielles par exemple) a été bannie en Suisse en 1986.

Métaux lourds

Rejetés dans l’atmosphère du fait d’activités industrielles, le cadmium, le plomb, le zinc, le cuivre ou le mercure se retrouvent ensuite au sein de la chaîne alimentaire, sur terre comme dans l’eau. Les grands poissons marins prédateurs, situés en haut de cette chaîne comme le thon, peuvent par exemple en contenir.

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Surveillance des dispositifs médicaux

L’exposition des nouveau-nés aux substances chimiques préoccupe le Service de néonatologie du CHUV. Il surveille notamment la présence de DEHP, un phtalate (groupe de produits dérivés de l’acide phtalique utilisé dans les plastiques) considéré comme perturbateur endocrinien. «Le DEHP entre dans la composition de nombreux plastiques, car il est souple et résistant, explique Céline Fischer Fumeaux, médecin au Département femme-mèreenfant du CHUV. Il est utile pour fabriquer de très petits dispositifs médicaux à destination des nourrissons en soins intensifs tels que des tubes. Toutefois, cette substance migre dans le sang, les voies respiratoires et sur la peau.» Une première étude a montré en 2015 que les nourrissons hospitalisés au CHUV pouvaient être soumis à une exposition multiple et répétée, dépassant parfois les seuils tolérés. «Depuis, le service identifie et limite au maximum la présence de dispositifs composés de DEHP.»

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 21).

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