- Largeur.com - https://largeur.com -

La violence domestique touche tous les milieux et tous les âges

Les actes de violence au sein du foyer sont en augmentation en Suisse. Ils peuvent être d’ordre physique, psychologique, verbal, sexuel ou économique. Les femmes sont particulièrement concernées.

Gifles, insultes, menaces, meurtre : la violence domestique continue de gangrener les foyers. En Suisse, plus de 19’000 infractions de violences domestiques ont été recensées par la police en 2019, soit une augmentation de 6,2% en comparaison avec 2018, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Les infractions les plus fréquentes sont les voies de fait (gifles, coups, cheveux tirés), les menaces et les injures. Chaque année, des viols, des séquestrations et des meurtres sont également perpétrés. La violence domestique touche tous les genres, tous les milieux socio-économiques, les jeunes comme les plus âgés, suisses ou étrangers, homo- ou hétérosexuels. En 2019, 29 personnes, dont huit enfants de moins de 10 ans, sont décédées victimes de la violence domestique en Suisse.

Les femmes sont particulièrement touchées : plus de 9 fois sur 10, ce sont elles les victimes. Une femme sur cinq est maltraitée physiquement ou sexuellement au cours de sa vie de couple en Suisse, deux sur cinq sont psychologiquement violentées selon l’OFS. Au classement européen, le pays affiche un taux de féminicide supérieur à l’Espagne ou l’Italie, légèrement inférieur à la France ou l’Allemagne, selon les chiffres d’Eurostat.

Dans près de 75%  des cas, il y avait une relation de couple actuelle ou passée entre la victime et la personne suspectée, selon le rapport 2019 de l’OFS. De fait, toutes les deux à trois semaines, une femme meurt sous les coups de son compagnon ou ex- en Suisse.

« Tout le monde peut être touché par la violence, avertit Michèle Gigandet, codirectrice du centre MalleyPrairie à Lausanne, qui héberge, protège et soutient les femmes victimes de violence. 90% des auteurs de violence sont des personnes lambda, sans problème psychiatrique particulier. » Face à ce constat glaçant, le pays se mobilise pour endiguer ce fléau au travers de nouvelles législations et avec le soutien des centres d’aide.

Un mal insidieux

La violence domestique peut prendre différentes formes : physique, psychologique, verbale, sexuelle ou économique. C’est un mal insidieux, souvent invisible au regard des autres, qui pousse la victime dans un état d’hypervigilance pour ne pas éveiller la colère du partenaire. Les violences se répètent selon un cycle dont les phases se rapprochent inexorablement (voir encadré). On distingue la violence domestique, qui concerne des membres de la famille, des enfants aux aînés, de la violence conjugale, qui se concentre sur le couple. « On retrouve un besoin abusif de contrôle chez les auteurs, ajoute Michèle Gigandet. De fait, l’autonomie psychologique et financière sont des facteurs protecteurs pour les femmes. » En soutien, le centre MalleyPrairie héberge tous les ans près de 200 femmes et autant d’enfants et offre des consultations ambulatoires pour plus de 1’000 femmes par année.

Les aînés représentent notamment une population de victimes invisibles, tout comme les hommes, particulièrement touchés par la violence communautaire mais aussi conjugale. « Le nombre d’hommes touchés par la violence domestique est sous-estimé, souligne Silke Grabherr, médecin légiste et directrice du Centre universitaire romand de médecine légale du CHUV. Étant donné qu’ils s’expriment peu parce qu’ils ont peur d’être stigmatisés, on ignore l’ampleur du phénomène. »

Le constat pour preuve

Ouverte en 2006, l’Unité de médecine des violences du CHUV s’occupe des victimes de violences conjugales, familiales ou communautaires. Ses équipes ont mené plus de 1’200 consultations en 2019, la plupart des victimes étant adressées par le Service des urgences du CHUV. Les consultations sur rendez-vous sont gratuites et ont la particularité de ne pas exiger de dépôt de plainte préalable. Les professionnels de l’unité sont tenus au secret médical, mais doivent signaler si des enfants sont victimes de violence (voir aussi In Vivo 16).

Les examens médico-légaux permettent aux victimes de faire état de leurs blessures mais aussi d’obtenir des preuves pour engager une procédure judiciaire. « Lors d’une consultation, toutes les parties du corps sont examinées, explique Silke Grabherr. La localisation des lésions, leur ancienneté, leur distribution sont autant de détails qui indiquent ce qui a pu réellement se passer. » Dans l’Unité romande de médecine forensique, le médecin légiste mène sur mandat du procureur un constat médico-légal et livre son expertise à la justice. L’unité mène environ 600 examens et 400 constatations d’agression sexuelle par année dans les cantons de Genève et de Vaud.

« La violence physique est un déclencheur qui pousse les victimes de violence dans le couple à venir consulter, mais les consultations révèlent bien souvent des violences psychologiques et/ou sexuelles sous-jacentes, constate Nathalie Romain-Glassey, responsable de l’Unité de médecine des violences au CHUV. Pendant les consultations, les victimes racontent leur agression, qui peut être isolée comme dans une attaque de rue, ou chronique comme souvent dans les cas de violence conjugale. »

Sortir de la sphère privée

La question des violences domestiques a longtemps été cantonnée à l’intouchable sphère privée. Jusqu’en 1992 par exemple, le viol entre époux n’était pas reconnu. Aujourd’hui, la Loi fédérale d’aide aux victimes d’infractions (LAVI) exige que les cantons instaurent des processus d’aide médicale, sociale et financière aux victimes. Le canton de Vaud, cité en exemple dans le rapport du Conseil fédéral en mars 2020, sert de modèle.

Pour faciliter la prise en charge des victimes d’agression sexuelle, le canton de Vaud a notamment étendu la liste des hôpitaux habilités. Ainsi, depuis le mois de juillet 2020, les hôpitaux régionaux d’Yverdon-les-Bains, de Payerne, de Nyon et de Morges, et non plus seulement le CHUV, peuvent mener ces constats. « Les victimes réagissent plus rapidement qu’auparavant, souvent dès que la violence commence, et ont une meilleure connaissance des structures d’aide, se réjouit Michèle Gigandet. Politiquement et socialement, le sujet semble moins tabou. Les voisins, les amis, la famille vont également plus rapidement identifier la violence et inciter la victime à aller chercher de l’aide. »

Dans le canton, depuis 2015, la mesure « Qui frappe, part ! » stipule que la police peut expulser immédiatement du domicile l’auteur des violences pour 30 jours. Cette mesure oblige les auteurs à un entretien au Centre de prévention pour les auteurs de l’Ale (CPAle). Pour Michèle Gigandet, « il est impératifde s’occuper aussi des auteurs pour diminuer les risques de récidive ».

« Une part importante des femmes victimes de violence conjugale finissent par retourner à leur domicile, précise Christian Anglada, codirecteur du CPAle. Et même si le couple se sépare, la violence ne s’arrête pas. Leur partenaire se révèle souvent être aussi le père des enfants, qu’il peut ensuite utiliser pour dévaloriser et blesser la mère. Depuis l’introduction des différentes mesures, le centre est passé d’environ 60 visiteurs par année à plus de 700 en 2019. « Les auteurs viennent souvent réticents, mais c’est un moyen pour nous d’avoir un premier contact avec eux, et pour certains d’engager une réelle prise de conscience sur leur violence. »

Dernièrement, la crise sanitaire et le confinement imposé ont bouleversé les ménages. Contrairement aux idées reçues, « le confinement a plutôt gelé les violences domestiques puisque le contrôle abusif était calmé par le fait que la conjointe était toujours au domicile, explique Michèle Gigandet de MalleyPrairie. Mais généralement toute la violence est réapparue dès le retour à la normale. » L’Unité de médecine des violences du CHUV confie, quant à elle, avoir noté une augmentation des violences de voisinage depuis la crise sanitaire, mais étudie encore actuellement la question.

_______

Le cycle de la violence

La violence se déroule généralement sous la forme d’un cycle en quatre phases. Cette spirale se répète à des intervalles de plus en plus rapprochés qui aboutissent à des agressions de gravité croissante allant parfois jusqu’à l’homicide de la victime.

  1. L’escalade des tensions. Le partenaire se sent frustré, mécontent d’un manquement à sa volonté. Les signes de violences sont repérés mais la personne espère encore que ce sera passager.
  1. L’explosion de la violence. L’auteur attaque et se décharge par des coups et/ou des insultes. Il est capable de tout. La victime se sent piégée, terrifiée, impuissante.
  1. Justification. L’auteur de violence s’excuse, se justifie en accusant des éléments extérieurs comme le stress ou la fatigue. La victime en vient à douter, voire même à culpabiliser et à se sentir responsable.
  1. La « lune de miel ». L’auteur promet de ne plus recommencer, il exprime des regrets et essaie de se faire pardonner. La victime reprend espoir jusqu’au prochain cycle.

_______

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 21).

Pour vous abonner à In Vivo au prix de seulement CHF 20.- (dès 20 euros) pour 6 numéros, rendez-vous sur invivomagazine.com.