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Mon ADN, ma santé et moi

BRCA1 et BRCA2. Ces sigles mystérieux désignent deux gènes qui, s’ils contiennent une mutation susceptible de faire baisser la protection de l’organisme, augmentent les risques de développer des cancers du sein et de l’ovaire. Ce sont eux qui sont à l’origine de la décision médiatisée de l’actrice américaine Angelina Jolie en 2013 de se faire retirer les seins et les ovaires à la suite d’un test ADN. Selon les résultats de ce dernier, elle avait une probabilité d’environ 70% de développer un cancer du sein, et d’environ 40% de développer un cancer de l’ovaire.

Sa décision de se faire opérer sur base de probabilité, qu’elle a eu le courage de communiquer ouvertement dans les médias, a eu des conséquences importantes. Dans les mois qui ont suivi cette intervention, le nombre de tests de dépistage des gènes BRCA1 et BRCA2 a augmenté d’environ 50% aux États-Unis. Un chiffre identique a été observé au CHUV et en Suisse. Plus encore, le cas d’Angelina Jolie a révélé aux yeux du grand public le potentiel des analyses génétiques dans le diagnostic et les traitements médicaux. Avec, à la clé, un futur où les médecins peuvent lire dans les gènes des patients pour proposer certaines prises en charge avant que des maladies ne se manifestent.

Aujourd’hui, les tests ADN aident tout d’abord à diagnostiquer des maladies dites monogéniques (ou maladies rares). Ce sont des pathologies qui sont causées par des variations – les spécialistes parlent de variants génétiques – dans un seul des 20’000 gènes que compte l’organisme humain. Parmi ces maladies se trouvent par exemple la mucoviscidose ou la maladie de Huntington. En tout, 6’000 sont connues. Et environ 500’000 personnes sont concernées par ce type de maladies en Suisse.

Ensuite, il y a les maladies dites polygéniques. Celles-ci sont causées par des variants présents dans plusieurs gènes. De plus, des facteurs extérieurs comme la pollution, l’alimentation mais aussi le style de vie ont une influence sur l’apparition de telles pathologies. L’obésité, le diabète, l’asthme, les allergies ou encore les maladies coronariennes font toutes partie de ce type de maladies. Dans ces cas, les analyses de l’ADN ne sont utilisées que pour indiquer la probabilité de développer une certaine pathologie au cours de sa vie.

Quant au cancer, il est un peu à part. La majorité des cas surviennent sporadiquement au cours de la vie des patients, sans que les médecins n’en connaissent la raison exacte. Les cancers sont en partie favorisés par des facteurs externes comme le tabagisme ou l’exposition à des substances chimiques, tandis qu’une minorité – environ 5 à 10% – est due à des prédispositions héréditaires, c’est-à-dire à des variants pathogènes dans les gènes qui sont présents depuis la naissance. Ces variants augmentent considérablement le risque de développer certains types de cancer, comme dans le cas d’Angelina Jolie.

Séquencer et comparer

Les analyses de l’ADN sont rendues possibles par la technique du séquençage du génome. Il s’agit de créer, à partir d’un échantillon de sang ou de salive, une image exacte de notre ADN, soit d’une partie du génome, soit du génome complet avec ses 6 milliards de nucléotides (les quatre molécules adénine, cytosine, guanine et thymine – voir l’infographie p. 23). Concrètement, un tel séquençage livre une très longue suite des lettres A, C, G et T. Certaines parties de cette suite constituent un gène. Les chercheurs et les médecins s’intéressent essentiellement à ces parties pour détecter d’éventuelles anomalies.

Le séquençage de l’ADN est une discipline relativement jeune. C’est en 2003 que les chercheurs d’un projet de recherche international, le Human Genome Project, ont séquencé, pour la première fois, un génome humain complet. Ce procédé avait alors pris plusieurs années. Et aujourd’hui ? « Un séquençage du génome complet peut être réalisé en environ vingt-quatre heures. L’analyse de celui-ci et des gènes pour livrer un diagnostic médical, quant à elle, prend quelques semaines », résume le Prof. Jacques Fellay, directeur de l’Unité de médecine de précision du CHUV. La technologie continue à se  développer rapidement : ainsi, un hôpital à San Diego (États-Unis) a récemment mis en place un dispositif qui relie le séquençage à l’intelligence artificielle pour rendre un diagnostic possible en une journée.

L’intelligence artificielle joue un rôle majeur dans la recherche de variants. Puisque chaque génome contient une quantité énorme de données, il n’est pas possible de les analyser un par un – c’est la comparaison avec d’autres génomes grâce à des algorithmes qui permet d’en tirer des conclusions utiles pour livrer un diagnostic. Ainsi, un génome peut être comparé avec des milliers d’autres qui sont enregistrés sous forme anonymisée dans des banques de données.  Par exemple, les spécialistes du CHUV comparent leurs séquençages, réalisés dans un but de diagnostic, avec les données de plus de 100’000 individus sains qui se trouvent dans la base de données américaine gnomAD, comme l’explique le Prof. Andrea Superti-Furga, directeur du Service de médecine génétique au CHUV. « Plus la base comparative sera grande, plus il y aura de résultats précis », souligne le Prof. Fellay. Ainsi, l’agence de recherche médicale des États-Unis vise à recueillir les informations génétiques d’un million de citoyens d’ici à 2024. En Suisse, le CHUV a créé une biobanque en 2013 où sont stockés actuellement environ 30’000 échantillons de sang. Mais l’analyse de l’ADN de ces échantillons n’a pas encore commencé. Pour augmenter leur nombre, le CHUV a mis à jour, début avril, le document de consentement général daté de 2013 et destiné à ses patients. Dans cette nouvelle édition, les patients peuvent donner leur accord pour que les informations génétiques récoltées grâce à un échantillon donné soient utilisées dans le cadre de recherches.

Un outil de diagnostic

Actuellement, l’usage concret du séquençage de l’ADN à l’hôpital concerne le diagnostic. Au Service de médecine génétique du CHUV, quelques centaines de séquençages sont ainsi réalisés chaque année, suivis par une analyse bio-informatique ciblée, lors de laquelle les médecins se concentrent sur certains gènes.

En plus de ces analyses ciblées, depuis 2018, 60 patients ont connu un séquençage complet de leur génome où les médecins regardent la totalité des gènes. Sur quels critères ? Le recours à ce procédé s’impose lors de pathologies graves qui n’ont pas pu être diagnostiquées de manière conventionnelle ou grâce à un séquençage ciblé. Il y a aussi le facteur économique : un séquençage ciblé fait partie des prestations remboursées par les assurances maladie. Par contre, le séquençage complet du génome n’est pas encore remboursé, puisque l’efficacité de cette technique n’est pas encore reconnue par les assurances. Pour les 60 individus concernés, le Prof. Superti-Furga a accepté de prendre en charge les coûts s’élevant à plusieurs milliers de francs dans le cadre d’un projet de développement de ce diagnostic.

La fiabilité d’un tel séquençage – ciblé ou complet – dépend du nombre de gènes impliqués dans le développement de la pathologie. Par exemple, les maladies touchant les reins concernent une cinquantaine de gènes, alors que les troubles de développement cognitif impliquent environ 1’500 gènes. Aussi, les médecins manquent encore de connaissances sur les liens entre certains gènes et certaines pathologies, même si les avancées scientifiques progressent rapidement : « Entre 5’000 et 6’000 gènes sont aujourd’hui clairement associés à certains maux. Et toutes les semaines, il y a de nouvelles découvertes. Le séquençage du génome d’un individu donnera donc probablement de nouveaux résultats dans quelques années », explique le Prof. Superti-Furga.

Et même pour des maladies dites monogéniques,  les médecins sont loin de connaître tous les mécanismes existant autour des gènes, comme l’illustre le cas  de Bruno Aerni (voir le témoignage, p. 21), atteint d’une maladie neurodégénérative grave. Les médecins  ont d’abord pu établir le lien avec un gène appelé GNAO1. Mais ce constat ne suffisait pas pour poser un diagnostic complet. Après plusieurs séquençages ciblés infructueux, c’est un séquençage du génome complet et une comparaison avec des milliers d’autres données qui a fourni la réponse : il s’agit d’une mutation sur une seule « lettre » (nucléotide) précédant le gène GNAO1 dans le génome – une anomalie observée chez seulement une centaine d’autres cas dans le monde. « Même si nous savons souvent sur quelle séquence du génome il faut chercher, il nous manque parfois les ‘lunettes’ pour  pouvoir les lire. Il y a des parties de l’ADN dont nous ne savons pas encore comment elles agissent sur l’organisme et si elles peuvent causer une maladie, continue le Prof. Superti-Furga. Néanmoins, le séquençage du génome nous a offert des résultats très encourageants. »

Cancer et médicaments

De nombreux chercheurs et médecins sont convaincus que la technique du séquençage du génome contribuera à une meilleure compréhension de nombreuses maladies. Ainsi, l’agence de recherche médicale américaine consacre en ce moment la moitié de son budget annuel de 42 milliards de dollars à la recherche en génomique. En tête de liste : le cancer. Un des projets les plus importants dans ce domaine vient d’être finalisé dans le cadre du groupe « Pan-Cancer Analysis of Whole Genomes » (PCAWG). Lancé en 2016, il a regroupé 1’300 chercheurs du monde entier. Le but : séquencer presque 3’000 génomes de tumeurs qui représentent 38 types de cancer – une approche inédite. « Nous voulions mieux comprendre les mutations au sein d’une tumeur qui la rendent maligne », explique Moritz Gerstung de l’Institut européen de bio-informatique, un des chefs de projet.

Certains types de tumeurs, comme celles qui sont à la base du cancer de la peau, développent en effet jusqu’à 100’000 mutations, dont 20% rendent la tumeur dangereuse pour l’organisme. « Si nous comprenons mieux le potentiel néfaste des mutations et quand elles ont lieu dans l’ADN d’une cellule tumorale, il sera possible pour les médecins d’intervenir beaucoup plus tôt », ajoute-t-il. Selon lui, les premières applications concrètes dans l’oncologie pourraient être disponibles d’ici à quelques années.  Au CHUV, un projet de recherche vient d’être lancé afin de sélectionner avec plus de précision les patients atteints d’un cancer qui pourraient être traités avec une immunothérapie. Cette thérapie prometteuse consiste à utiliser les défenses immunitaires de l’organisme du patient pour qu’elles s’attaquent aux cellules cancéreuses et les détruisent (voir aussi In Vivo 18, p. 19). Puisque la plupart des patients ne répondent pas au traitement, le projet vise à mieux comprendre quelles prédispositions génétiques sont compatibles avec celui-ci.

Une autre application étudiée par certains chercheurs est le domaine de la pharmacogénétique. Il s’agit de trouver les variants génétiques dans l’organisme qui provoquent les effets secondaires de certains médicaments. En effet, nos gènes ont une influence sur les enzymes du foie qui sont essentielles à la métabolisation de médicaments. Lorsqu’une mutation génétique empêche le bon fonctionnement des enzymes, le médicament risque de s’accumuler dans l’organisme et de causer de graves effets secondaires.

Reconnue comme entreprise la plus novatrice dans son domaine en Europe, la société vaudoise Gene Predictis a développé un outil basé sur un test génétique et un algorithme qui permettent de mesurer le risque de thrombose lié à l’utilisation de la pilule contraceptive. Un autre produit aide les médecins à doser certains médicaments comme les antidouleurs selon le génome du patient. Plusieurs centaines de médecins en Suisse ont déjà recours à ces dispositifs, selon la CEO Goranka Tanackovic. Pourtant, l’application de la pharmacogénétique reste encore marginale, comme le précise le Prof. Superti-Furga : « Dans la pratique clinique, elle joue un rôle dans un nombre de situations limité seulement, comme pour préciser le dosage d’un anticoagulant ou pour choisir un médicament contraceptif. »

Une nouvelle norme médicale

Les progrès médicaux réalisés grâce au séquençage de l’ADN sont incontestables. « Dans les années 2000, on ne connaissait qu’un millier de maladies monogéniques. Le séquençage du génome a permis d’en connaître quasiment six fois plus aujourd’hui »,  rappelle le Prof. Superti-Furga. Quant aux maladies polygéniques, qui sont causées par plusieurs gènes et par des facteurs extérieurs, la donne semble être plus compliquée. Le Prof. Fellay voit surtout le potentiel de créer une prise en charge plus axée sur la prévention : « Certes, pour beaucoup de maladies, le style de vie et l’environnement jouent un rôle très important. Mais connaître le génome de tout le monde aidera par exemple aussi à adapter des dépistages : selon les prédispositions génétiques, une mammographie pourrait se faire plus ou moins tôt. à la fin, toute maladie est en partie génétique. » Mais de nombreuses questions demeurent : « Est-ce vraiment une aubaine de savoir si on a une prédisposition à développer une certaine maladie pour laquelle nous n’avons pas  encore de prévention ni de traitement ? relève le Prof. Superti-Furga. Les interventions de la médecine de précision marchent bien pour les maladies monogéniques, mais pour les polygéniques, la prévention doit s’axer plutôt sur les mesures de santé publique, comme l’alimentation, l’activité physique, la prévention du tabagisme et autres. » /

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 Un dilemme pour les patients 

De nombreuses personnes envisagent de faire un test ADN. Sauf que les résultats peuvent parfois comporter des informations inattendues.

Un séquençage du génome peut livrer des informations importantes sur une personne. Lorsque cette technique est appliquée pour poser un diagnostic médical, il se peut que d’autres variants causant potentiellement d’autres pathologies ou prédispositions soient découverts. Plus le nombre de gènes analysés est grand, plus il y a un risque d’une telle trouvaille. Faut-il communiquer une prédisposition héréditaire – c’est-à-dire un variant dans les gènes – au patient ?  Même s’il s’agit de maladies pour lesquelles il n’y a pas de traitement ? Répondre à ces questions et accompagner les patients dans le processus du séquençage constituent une facette du métier de Marie Met-Domestici, qui fait partie du groupe de quatre conseillers  en génétique du Service de médecine génétique du CHUV. Avant l’analyse de l’ADN, elle doit entre autres expliquer les enjeux aux patients. Après l’analyse,  elle aide à leur communiquer les résultats.

La spécialiste s’occupe notamment de patients pour lesquels une prédisposition héréditaire au cancer peut être suspectée. Dans le cas d’une femme atteinte d’un cancer du sein, par exemple, une analyse génétique peut révéler une telle prédisposition, notamment en lien avec les gènes BRCA (voir l’article principal). Ainsi, en cours de traitement pour un cancer du sein, de tels résultats peuvent permettre à la patiente d’avoir recours à une chirurgie plus large pour réduire  le risque d’un second cancer. Pour la conseillère en génétique se posent alors des questions importantes : « Il s’agit d’intégrer au mieux les résultats de l’analyse dans le parcours de soin des patients.  Par exemple, une jeune patiente qui souffre déjà du diagnostic prend aussi connaissance de la dimension familiale des prédispositions héréditaires. Nous pouvons aussi trouver des prédispositions pour d’autres types de cancer que celui pour lequel l’analyse a été réalisée, et il est nécessaire d’en avoir bien discuté avant. »

Marie Met-Domestici précise que le rôle des conseillers en génétique est d’amener chaque patient à décider s’il veut engager une démarche en génétique. Selon elle, puisque de plus en plus de personnes ont accès aux analyses génétiques, un conseil approprié reste indispensable avant et après l’analyse – il se doit d’intégrer  la dimension émotionnelle que représente cette démarche.

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 Rendre le génome plus  compréhensible 

La plateforme en ligne « cialis buy » aide les patients et le grand public à mesurer les enjeux liés au séquençage du génome et à la restitution des résultats. Lancée en février 2020 par le CHUV dans le cadre de l’initiative « Santé personnalisée  & société » de la Fondation Leenaards, elle s’appuie sur de nombreux podcasts, témoignages de patients et avis d’experts. Les onglets « Ma santé », « Ma famille », « Mes données » et « Mes droits » offrent des réponses très concrètes aux questions fréquemment posées par les patients. Une  page spécifique intitulée « Savoir ou pas ? » permet par ailleurs  de faire un bilan personnel en 12 questions-réponses.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 21).

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