Au coeur du quartier des Pâquis, à Genève, la boutique est divisée en deux pièces: l’une pour la vente et l’autre pour le bureau, l’essayage et le thé vert.
C’est là que, depuis un mois, la styliste Natalia Solomatine, 30 ans, vend sa propre collection. «Je suis d’origine moscovite, mon nom se fait remarquer.» Elle l’a ré-orthographié pour en faire une marque: Solo-Mâtine.
Au printemps dernier, sa conception moderne et fonctionnelle du vêtement lui a ouvert les portes du Musée de l’Elysée de Lausanne, où elle a présenté ses créations dans le cadre d’une exposition sur la photo de mode. Et la semaine dernière, Natalia a été invitée par l’Office fédéral de la Culture à participer au concours «Fashionation» au Musée national de Zürich.
Au lieu de l’habituel défilé, elle y a présenté un film sur le thème de la Street Parade, qui se déroulait au même moment sous la pluie.
Dans ses présentations, Natalia se fait d’autant plus remarquer qu’elle choisit souvent des mannequins amateurs qui n’ont pas une beauté classique mais plutôt «de la gueule». Un soir, pour une présentation de sa collection «streetwear» dans une vitrine genevoise – où son travail est resté exposé un an -, la styliste a organisé à même le trottoir une chorégraphie inspirée des rues des Pâquis.
Ce spectacle, filmé en vidéo, a marqué le début d’une collaboration multimédia avec le musicien Phlegme et le réalisateur Lacava. Leur association est devenue officielle sous le nom Locomotiv.
C’est par ce biais que Natalia assure désormais la promotion de sa marque. «Sa-ka-dé», le film qu’elle a projeté lors des salons professionnels de Genève, Zürich et Paris l’hiver dernier, est une création collective qui lui sert aussi de message publicitaire: «Chaque performance est différente, mais les thèmes suivent le même état d’esprit». L’exposition au musée de l’Elysée à Lausanne a marqué une étape importante dans sa carrière. Car Natalia défend son métier d’artiste. Elle regrette qu’on n’accorde pas davantage de valeur à la mode. «Il n’y a pas de culture autour de la mode», dit-elle.
Financièrement également, les stylistes souffrent d’un manque de reconnaissance. Solo-Mâtine n’a harponné aucun sponsor et ne reçoit aucun cachet pour ses prestations hors-boutique. «Les autres artistes sont payés pour une expo ou un show, et moi pas. On nous donne un budget pour les mannequins par exemple, et pas un sou pour les stylistes». Quant au manque de sponsors, elle explique que «les entreprises préfèrent les créations purement visuelles plutôt que les vêtements portables». Son malheur est de créer une confection qui se vend.
«Un prix raisonnable, c’est le but aussi», ajoute-t-elle. Il n’est pourtant pas simple de gagner de l’argent en vendant des vêtements accessibles: «Pour atteindre un prix correct, je dois produire dans les 200 à 400 pièces». A une telle échelle, et sans autre employé qu’elle-même, Natalia doit faire produire ses créations en République tchèque. Les pièces de collection et les détails personnalisés sont achevées dans l’atelier Solo-Mâtine.
Mis à part la boutique, qui présente les articles de ses collections actuelles, passées et futures, ainsi que quelques vêtements de stylistes étrangers ou suisses, Natalia diffuse sa marque dans des magasins. «Je vends en Suisse, Italie, Espagne, Israël, Allemagne, Russie et Monte Carlo, mais surtout en France, auprès d’une quinzaine de points de vente.»
C’est grâce aux foires professionnelles que la marque Solo-Mâtine s’est fait connaître sur le circuit international. Natalia se rend aussi tous les six mois aux expositions de textile: «J’achète des tissus en octobre par exemple, puis je présente mes modèles aux foires en janvier, ce qui me donne une marge de création pour produire selon les demandes.» Mais chez Solo-Mâtine, on ne trouve aucune collection unique. Elles sont extensibles, comme du latex: «Ces collections vont s’agrandir et se perfectionner», anticipe Natalia.
Après un mois d’exploitation, la boutique afiche des résultats encourageants. «Mais c’est un métier qui demande de la persévérance et parfois on ne reçoit rien en retour. Quand on a sa propre marque, on a toujours besoin d’investir». Considérant son «cardiogramme artistique», elle se rend compte que la richesse d’un styliste se résume au montant qu’il réinvestit. Bien entendu, le développement artistique joue un rôle important, à condition de travailler dans un but bien défini. Le sien? «Rester une marque à part, tout en demeurant accessible et en conservant la qualité d’une petite fabrication».
Boutons en latex, ceintures en silicone
Elle a commencé à coudre chez ses parents, puis dans son propre appartement. C’est en 1998 seulement qu’elle a déménagé sa confection dans un atelier des Pâquis. Adepte des espaces multifonctionnels, elle en a rapidement fait son showroom. Et en septembre prochain, elle y organisera le vernissage officiel de sa boutique, «L’appart’». Les Pâquis, quartier multiethnique, alimentent la créativité de Natalia Solomatine.
Une Pfaff industrielle pour la grosse production, une Bernina pour les coutures apparentes et les rebords, et une autre Bernina pour la couture habituelle sont ses alliées professionnelles. «Ces machines m’aident surtout à monter les prototypes et à créer parfois des mini collections.» Ou à personnaliser des pièces produites en grand nombre, comme les t-shirts.
Les vêtements Solo-Mâtine sont souvent modulables, toujours créés pour le confort: «J’aime jouer avec une pièce en déplaçant le tissu ou le volume, en faisant glisser des zips». Ses choix de tissus incluent souvent du lycra. «Je fonctionne surtout par coup-de-foudre. Les tissus suisses sont beaux, technologiques mais chers».
Certains éléments sont propres aux créations Solo-Mâtine, comme les coutures qui partent de la poche puis s’écoulent sur les hanches, ou celles en forme de cardiogrammes («heartbeat») sur le haut des fesses et de la poitrine. Autre signe distinctif de la griffe, les éléments féminins comme le décolleté ou les découpes inspirées des baleines de corsets sur des vêtements masculins.
Les pièces de finition contribuent également à l’originalité des modèles: des boutons en latex, des ceintures de silicone pour maintenir le pantalon taille basse, des transparences et déchirures. «Ce que je fais est destiné aux gens qui osent et veulent être différents, jour et nuit».
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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 18 août 2002 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.
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