- Largeur.com - https://largeur.com -

Le référendum, nid à fantasmes

Les récoltes de signatures ont commencé contre la loi Covid-19 ainsi que contre la loi sur le terrorisme. Comme si avoir peur de son ombre était devenu un sport national.

Référendum par-ci, référendum par-là: c’est beau la démocratie directe. C’est même à cela qu’on la reconnaît: au droit et à la possibilité de chacun de proposer à peu près n’importe quoi, de batailler héroïquement, hors de propos et loin de toute urgence. C’est sans doute pour cela que le monde entier nous envie ce glorieux mécanisme. Les deux derniers référendums lancés s’avèrent à cet égard, tout à fait emblématiques

D’abord celui contre la nouvelle loi sur le terrorisme, piloté par les jeunesses socialistes, vertes, vertes libérales, ainsi que l’insubmersible Parti pirate. Que disent ces braves gens? Que la volonté du Conseil fédéral, avalisée par le Parlement, de compléter l’arsenal policier pour mieux lutter contre le terrorisme aboutit à une loi «familière aux dictatures mais pas aux Etats démocratiques».

Dans le viseur des référendaires, une série de dispositions rendues possibles, y compris contre des personnes mineures, qui pourraient faire craindre que les prochaines manifestations de rues soient traitées de façon particulièrement musclée. Après s’être souciés de la planète, des droits bafoués des minorités, de dieu sait quoi encore, les activistes craignent désormais pour eux-mêmes. Comme si d’un coup, ils allaient devoir faire face sur le bitume à rien de moins que la Stasi ou la Gestapo.

Bien sûr avec la nouvelle loi, il sera possible de prendre des mesures contre un individu sur simple présomption de dangerosité, sans passer par un juge. Ce sont par exemple des interdictions de périmètres ou de contacts, le port d’un bracelet électronique, voire l’assignation à résidence pendant plusieurs mois. Karin Keller-Sutter avait pourtant pris soin d’enrober la chose dans un emballage qui se voulait plutôt sympathique, pour ne pas dire hypocrite: «La répression ne suffit pas, il faut également une action préventive.» Pour trancher la question de savoir s’il était bien opportun de cibler également les mineurs, la conseillère fédérale avait livré le fond de sa pensée: «Les mineurs aussi peuvent se radicaliser.» Compliqué de soutenir le contraire.

Pourtant même le Conseil de l’Europe a émis des réserves, parlant de «risques d’ingérence excessive et arbitraire dans les droits de l’homme». De quoi donner raison au Parti pirate qui soutient qu’avec une telle loi, aussi bien un manifestant pour le climat qu’une vieille baderne conservatrice s’opposant à la politique d’immigration pourraient  être considérés comme des terroristes potentiels. Comme si ce n’était pas plutôt les droits des terroristes qui étaient mis en péril par cette loi.

L’autre référendum, qui peut paraître encore plus baroque, se dresse contre la loi Covid-19. Celle-ci permet au Conseil fédéral d’utiliser jusqu’à fin 2021 le droit d’urgence né durant la pandémie. Les référendaires regroupés sous l’ambitieuse appellation des «Amis de la Constitution» estiment qu’avec cette loi, le nombre de personnes amenées à prendre des décisions importantes pour la population est devenu dangereusement restreint. Un petit parfum de complotisme se rajoute à l’argumentaire, avec la crainte ouvertement exprimée que la nouvelle loi puisse rendre possible la vaccination obligatoire.

Là encore, c’est un fantasme de libertés menacées qui est invoqué contre une urgence bien réelle. Il semble à peu près aussi nébuleux de nier la réalité de la crise sanitaire que de minimiser la menace terroriste. Mais comme le dit si poliment le conseiller national PLR Philippe Nantermod: «Le référendum est un droit démocratique, chacun est libre de l’utiliser.»