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Corps-à corps (institutionnel) avec l’Europe

L’initiative de l’UDC a certes été balayée, mais derrière les sourires et les bulles de champagne, il apparaît que les relations avec l’UE n’ont jamais été aussi tendues.

Dans un pays où il va donc faire bon vivre pour les loups, les pilotes de chasse et les pères de famille nombreuse, il restera toujours bien compliqué d’être européen. Votation après votation, peu importe la nature du résultat, pro ou anti-européen, le casse-tête bilatéral demeure.

Les urnes étaient ainsi encore fumantes du non massif à l’initiative de l’UDC contre la libre-circulation, que déjà les ténors de la classe politique sentaient poindre une vilaine migraine. Il n’était plus question dimanche soir que de ce fameux accord-cadre institutionnel, censé stabiliser une fois pour toutes les relations avec l’UE, mais apparaissant tout à coup plus inaccessible que jamais. Et cette fois la fronde antieuropéenne ne se limite pas aux réflexes pavloviens de l’UDC.

En réalité,  il semble que plus personne ne veuille de cet accord institutionnel tel qu’il est, ni à gauche ni à droite. Les syndicats d’abord, exigent qu’une totale souveraineté de la Suisse soit conservée sur la protection des salaires, ce qui est en contradiction avec le texte.

Il est étrange de voir que ce mot de «souveraineté» jusque-là bien méprisé, soudain se retrouve sur toutes les bouches. Celle par exemple de l’ancien conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann ou du président actuel du PDC Gerhard Pfister, tous deux peu soupçonnables d’anti-européisme primaire, mais qui arrivent au même constat. «L’accord institutionnel est une perte de souveraineté pour la Suisse» prévient l’un, tandis que l’autre achève de peindre le diable européen sur la muraille confédérale: «Nous devons enfin parler du problème fondamental, la souveraineté. Le rôle de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’accord cadre est toxique.» C’est un fait: désormais cette cour européenne apparaît très largement comme un affreux épouvantail.

Chacun également, tous partis confondus, joue à se faire peur avec les dispositions de l’accord sur la citoyenneté européenne, qui pourraient permettre à n’importe quel ressortissant de l’Union européenne de toucher des prestations sociales suisses sans avoir guère cotisé. A cela s’ajoutent les cantons qui voient dans cet accord une menace sur les aides de l’Etat qu’ils touchent actuellement

Au Conseil fédéral, il semble que seul Ignazio Cassis est prêt à signer le plus rapidement possible, alors que même sa collègue de parti Karin Keller Sutter se montre beaucoup plus réticente. Au Parlement, seuls les Verts libéraux minimisent les difficultés, estimant qu’il suffirait juste que le Conseil fédéral renégocie les quelques points litigieux. Le PDC, on l’a vu n’est pas chaud-chaud. A gauche, les syndicats semblent avoir pris le pas sur l’aile pro-européenne du PS, qui semble crier dans le désert, expliquant vainement que la crise sanitaire a démontré la forte dépendance de la Suisse à l’égard de ses voisins, et donc la nécessité de signer le fameux accord-cadre. Quant à l’UDC, on peut en dire ce que disait Flaubert de l’hiver, quand il comparait les saisons: «N’en parlons pas.»

Bref, c’est la grosse impasse. Côté suisse, la tendance majoritaire est à une renégociation, dont l’Union européenne ne veut pas entendre parler. Côté bruxellois, Il semblerait qu’après s’être brillamment félicité du large rejet de l’initiative UDC, on commence à trouver que cet énième «oui mais non» à l’Europe, trahit une forme persistante de schizophrénie. Prochain épisode, les rétorsions mutuelles?