CULTURE

Guillaume et Guillaume, quatre mains à la pâte

Leur spot pour la Lanterne Magique est projeté dans les cinémas romands. Les deux jumeaux Frédéric et Samuel Guillaume, 26 ans, travaillent avec figurines modelées et montage numérique.

Depuis les personnages de Chapi Chapo, on ne voyait plus beaucoup d’animation en pâte à modeler sur les écrans. Frédéric et Samuel Guillaume ont remis à la mode un genre qui mélange aujourd’hui artisanat et haute technologie. Ces deux frères réalisent des films au moyen de figurines en pâte à modeler. Ils prennent les clichés image par image, afin d’obtenir une suite de mouvements naturelle, puis montent et retouchent informatiquement les séquences. «Nous faisons de l’animation de volumes, pas de l’image de synthèse, ni du dessin animé», précise Samuel.

Les jumeaux Guillaume se sont fait connaître en 1998 avec Le petit Manchot qui voulait une glace, un film pour enfants de dix minutes acheté et diffusé par les télévisions romande et alémanique, puis par Canal Plus. Le film a par ailleurs été projeté lors de nombreux festivals, en Suisse, en France et jusqu’en Norvège ou en Russie. Le succès de ce court métrage a permis aux deux artistes de quitter l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL) six mois après l’avoir commencée. Ils fondent à Fribourg leur propre société, Cinémagination, spécialisée dans l’animation.

En 1999, les frères Guillaume réalisent Bonne journée monsieur M. l’histoire d’un cochon ronfleur qui dérange ses voisins pigeons pour la Télévision suisse romande. Dès lors, les nombreuses projections, distributions et invitations à divers festivals internationaux confirment la réputation de Samuel et Frédéric.

Leur méthode de travail s’opère par étapes. Tout d’abord, la phase de développement, supervisée par Frédéric, implique le dessin des personnages. L’étude des couleurs vient ensuite. Puis le modelage en plastiline donne une première idée de la forme des figurines. Enfin, le squelette, l’armature de ces dernières, est inséré dans un moule où seront coulés la mousse de latex et le silicone. Une fois la marionnette façonnée, certains éléments décoratifs ou parties mobiles sont ajoutés en pâte à modeler. Ne manque que la peinture, dernière touche avant de jouer les stars sur la maquette lors du tournage.

Pour réaliser ces étapes, Frédéric et Samuel font appel à des mouleurs, modeleurs et autres «gouacheurs»: «Nous employons facilement des gens sur mandat pour aider à la production et à la post-production, pour les retouches et le montage», expliquent-ils. Les jumeaux travaillent en tandem pour superviser l’ensemble: «Frédéric coordonne un peu toutes les étapes de création des personnages. Il a le dernier mot par rapport au visuel, et j’ai le dernier mot par rapport à la réalisation», explique Samuel.

Si la création des figurines reste artisanale, l’informatique est largement utilisée dans les étapes ultérieures. «La post-production, c’est-à-dire les retouches et le montage, se fait en numérique», explique Samuel. La technologie numérique ne permet pas d’économiser du temps, mais de l’argent, car elle permet d’éviter la location d’un studio: «Nous pouvons travailler sur la post production chez nous, essayer davantage de choses et effectuer les retouches nous-mêmes. C’est plus précis.»

Outre les courts métrages à dimension culturelle, les frères Guillaume réalisent des films promotionnels. Leur compagnie, Cinémagination, a ainsi monté des spots qui mélangent images vidéo et dessins animés pour des entreprises comme KPMG, Credit Suisse Private Banking ou l’usine d’incinération du canton de Fribourg.

Plus récemment, ils ont réalisé le fameux film publicitaire du ciné-club pour enfants La Lanterne Magique. Ce spot est projeté actuellement dans la plupart des salles romandes en avant-programme: un petit éléphant bleu y va au cinéma sans sa maman. «Nous apprécions particulièrement ce genre de commande de spots destinés au cinéma et enregistrés sur bobines 35 mm, commente Samuel. Ils sont cependant plus difficiles et plus chers à tourner.» Toujours pour La Lanterne Magique, les frères Guillaume ont réalisé Une petite leçon d’animation, film explicatif sur leur métier, faisant partie d’une mise en scène théâtrale.

Les jumeaux, 26 ans cet automne, construisent leur carrière «étape par étape», mais jamais l’un sans l’autre. Ils créent ensemble depuis l’enfance. Ils ont développé le même sens de l’esthétique et poursuivent les mêmes objectifs, depuis leurs années de collège à Fribourg. A cette époque-là, ils envoyaient déjà des cassettes de leurs réalisations personnelles aux festivals et télévisions. Depuis, Cinémagination est devenue une société anonyme. «Aujourd’hui, on nous contacte directement, dit Samuel. C’est agréable. Cela nous évite d’aller chercher des clients.»

En ce moment, les frères travaillent sur un moyen métrage, progression logique après les films de six à dix minutes qui les ont révélés. Selon Samuel, «un tel projet peut nous faire décoller» et peut-être même leur permettre d’envisager un long métrage. Mis à part le titre, Le musicien d’ascenseur, les frères Guillaume demeurent discrets lorsqu’ils parlent de ce projet, et ne révèlent aucun synopsis. Le musicien d’ascenseur vous le contera lui-même, lors de la sortie du film prévue pour Noël 2003.

Le musicien d’ascenseur

Il faudra 2’246’200 prises de vue pour achever Le musicien d’ascenseur, le projet de moyen métrage des frères Guillaume. «Nous avons prévu environ huit mois de tournage, dit Samuel. Un tel projet personnel prend du temps, car il englobe toutes les étapes, de l’écriture à la distribution.»

L’opération reviendra à 800’000 francs. Une somme qu’il n’a «pas été aussi difficile que ça» à rassembler: «Il faut un bon dossier, et dès que l’on a une partie de l’argent, le reste est plus facilement obtenu», dit simplement Samuel.

Ce projet nécessitera de la main d’œuvre supplémentaire. Tandis que Samuel gère la production, son frère Frédéric s’occupe de la forme des personnages, de la lumière, des couleurs, du décor et donne un style de base qui est ici celui des années 1920-1930. Pourtant, c’est une création commune: «On coordonne, on supervise la totalité du moyen métrage et on a des réunions critiques deux fois par jour.»

L’idée originale des frères Guillaume, c’est ce format de vingt-six minutes, une première dans l’histoire du film suisse. Cette durée correspond à un demi-programme de télévision. L’étape suivante serait un long métrage, sur les traces de Chicken Run ou Wallace et Gromit…