Dans le dernier film de Klapisch, le plaisir des locataires naît de la profusion, du surnombre, d’une forme de boulimie euphorique. Celui des spectateurs aussi.
Xavier, 25 ans, part à Barcelone pour terminer ses études en économie et apprendre l’espagnol. Après plusieurs recherches infructueuses, il trouve à se loger dans un grand appartement partagé par six locataires, étudiants comme lui et tous issus de pays différents.
Deux émissions de télévision viennent immédiatement à l’esprit quand on évoque le scénario de «L’Auberge espagnole»: le Loft, cohabitation forcée et passive de seize individus en quête de célébrité, et Union libre, le talk-show de Christine Bravo, éloge tonitruant de la diversité européenne à travers un réseau de chroniqueurs plus typés les uns que les autres.
Très vite pourtant, on se dit que la comédie de Cédric Klapisch vaut mieux que ces deux références. D’une part parce que la caricature, inépuisable fond de commerce d’Union libre, n’a rien ici de condescendant. Elle ne sert pas à célébrer l’exception française au détriment des autres cultures, mais se pratique comme il se doit en pareil foutoir communautaire, sur le mode à la fois ridicule, increvable et inoffensif du cliché: l’Allemand aime l’ordre, l’Italien est bordélique, l’Espagnole monte vite les tours et le Français parle d’amour avec une bouche en cul de poule.
Audrey Tautou, habillée de rouge, est filmée au pied de Montmartre comme la nouvelle gavroche du Paris éternel, Amélie Poulain (mais ce n’est qu’un hasard, le film de Cédric Klapisch a été tourné bien avant celui de Jean-Pierre Jeunet).
Très éloignée des rivalités qui font le sel de Loft Story, «L’Auberge espagnole» ne fonctionne pas sur l’exclusion, mais sur l’inclusion. Dans cet appartement en enfilade à la géographie labyrinthique, il ne s’agit pas d’être toujours moins, mais toujours plus. Le plaisir des locataires de «L’Auberge espagnole», comme celui des spectateurs, naît de la profusion, du surnombre, d’une forme de boulimie euphorique.
C’est à la fois un principe de générosité et de solidarité mais aussi un vieux ressort comique (il suffit de se souvenir de la scène dite de la cabine de bateau dans «Une Nuit à l’Opéra» des Marx Brothers, où le fou rire augmente au fur et à mesure que s’empilent les passagers dans la petite pièce).
Ce principe «du toujours plus» révèle néanmoins ses limites; il n’a ni fond ni fin, d’où celle ratée, molle et répétitive, de «L’Auberge espagnole».
Tourné en caméra numérique HD, comme «Star Wars», le film de Cédric Klapisch se distingue de la production courante, cinéma ou télévision, par son usage polyphonique des langues.
Dans «L’Auberge espagnole», chacun parle la sienne, avec un peu d’anglais et d’espagnol. Tous se comprennent malgré quelques malheureuses homophonies («fuck» pour «fac»).
L’architecture «babélienne» donne un petit côté documentaire à cette sitcom cinématographique à l’humour tout terrain. Il y a la satire (les méandres de l’administration européenne), le comique de situation (une jeune lesbienne apprenant au héros comment faire jouir une femme), le burlesque (excellente Judith Godrèche qui joue les bourgeoises coincées au tempérament volcanique) et surtout le gag.
Comme le petit théâtre baroque et nostalgique qu’il filme, Cédric Klapisch n’a pas la prétention d’avoir fait autre chose qu’un film de vacances, une machine à produire des souvenirs et à les partager ensemble.
Sa mise en scène légère, potache, libre, décousue, superficielle, épouse à merveille l’idée qu’il se fait d’une Europe idéale: un grand jeu de mécano que seuls les adultes ayant conservé leurs rêves de jeunesse pourraient s’amuser à construire.
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Le titre international de «L’Auberge espagnole» est «Euro Pudding».