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«La diversité viticole vaudoise est impressionnante»

Johanna Dayer veut devenir la première Suissesse à décrocher le «Master of Wine», la plus haute distinction dans le monde du vin. Entre son activité de vigneronne et ses études, elle aime mettre en avant les trésors viticoles suisses et vaudois.

Pour être distinguée du titre honorifique «Master of Wine», Johanna Dayer doit accumuler une masse importante de connaissances sur le monde viticole. Mais plus qu’un travail, il s’agit d’une passion pour cette Valaisanne d’origine, âgée de 29 ans, qui baigne dans la culture œnologique depuis son enfance. Pour elle, la Suisse devrait davantage exporter ses vins car le pays offre une réelle richesse dans ce domaine.

Comment est née votre passion du vin ?

Johanna Dayer : Lorsque j’étais enfant, mon père m’emmenait dans les vignes, voir les cépages et sentir le vin. Plus âgée, j’ai commencé à faire de la dégustation. Au fond, j’ai toujours su que je voulais évoluer dans le domaine viticole mais le véritable déclic s’est manifesté lors d’un stage en Toscane. Ce qui me plaît particulièrement dans cet univers, c’est son éternel mouvement : il y a toujours des nouveautés ou des connaissances à acquérir, il faut constamment être proche de la vigne et suivre son évolution.

Pourquoi voulez-vous décrocher le titre honorifique de «Master of Wine» ?

Par humilité. Ce titre demande de la modestie car il faut toujours chercher à s’améliorer, à s’ouvrir aux autres cultures vinicoles et à découvrir le vin sous de nouveaux aspects. Lors des dégustations de vins à l’aveugle du «Master of Wine», il faut aller chercher les éléments de réponse en soi, et réfléchir comme un détective en cherchant des indices. Par exemple, on se concentre sur une saveur comme le bois de chêne américain qui a des notes particulières de noix de coco. Donc il peut s’agir probablement d’un vin australien, californien ou d’un rioja. Si on perçoit des arômes rappelant le cuir, il s’agira d’un rioja. Au contraire, si les notes rappellent la pureté du fruit, ce sera avant tout des vins dits du Nouveau Monde (comme l’Australie ou les États-Unis, par exemple). Ce raisonnement est simplifié mais il démontre notre capacité à aller chercher des indices.

En décrochant le titre, vous seriez la première femme suisse à devenir «Master of Wine». Est-ce que cela ajoute de la pression ?

Non, je ne ressens aucune pression car les femmes sont totalement intégrées dans le milieu viticole grâce au travail de femmes pionnières comme Madeleine Gay ou Marie-Thérèse Chappaz. Pour elles, c’était particulièrement difficile. Aujourd’hui, les mentalités ont changé et les femmes de ma génération doivent être reconnaissantes envers ces figures historiques.

En marge des études, vous êtes également associée au domaine viticole du Clos de Tsampéhro en Valais avec la particularité d’utiliser de l’engrais vert. Pourquoi ?

Nous cherchons à produire des grands crus et nous voulons proposer un vin de qualité. C’est pourquoi nous avons décidé d’abandonner les pesticides et herbicides afin d’obtenir le label bio Le Bourgeon. Pour ce faire, nous avons repensé notre système et notre vision de la viticulture. Par exemple, nous avons planté du trèfle rouge pour remonter le taux d’azote de la terre mais aussi pour limiter l’espace des mauvaises herbes. En revanche, il faudra ensuite penser à couper l’herbe pour qu’elle ne prenne pas de la place. Tout cela demande l’exploration d’un nouveau modèle. Nous l’avons fait, mais nous y avons consacré quatre années d’exploitation. Il faut dont être compréhensif avec les vignerons qui ne se lancent pas immédiatement dans le tout-vert. Cela prend du temps et requiert un certain apprentissage, il faut y aller étape par étape.

Comment définir le vin vaudois ?

Il y a une telle mosaïque de terroirs dans le canton de Vaud (sols, ensoleillement, cépages), qu’il est difficile de donner une définition unique. On pourrait bien évidemment le résumer au roi chasselas mais même ce cépage connaît une forte diversité. D’autant plus que plusieurs mythes sont véhiculés à son sujet : un vin qui ne vieillit pas, qui n’est pas complexe, etc. Or ce n’est pas un vin si simple, il est au contraire particulièrement précieux.

Pourquoi ?

C’est un ovni sur la scène viticole internationale. Plusieurs pays ne comprennent pas comment un raisin de table peut devenir un vin de qualité. On le sous-estime en le traitant de vin de soif, mais il faut lui redonner ses lettres de noblesse. C’est un vin d’apéritif frais et rafraîchissant qui représente extrêmement bien son territoire et ses localités. Un chasselas du Dézaley sera totalement différent de l’un de Villette. Et c’est précisément sa force et sa richesse.

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LA SÉLECTION DE JOHANNA DAYER

Johanna Dayer, future «Master of Wine» et associée au Clos de Tsampéhro (VS), nous livre ses coups de cœur viticoles.

LA CÔTE

Domaine Henri Cruchon (Echichens) : «Catherine Cruchon poursuit le travail de son père en s’intéressant tout particulièrement à la biodynamie. C’est cet esprit d’initiative qui est intéressant à découvrir au travers des vins, dont une « Altesse » sans sulfites, aux arômes de pêche. De plus, elle produit également un excellent pinot noir et un chasselas issus de différents crus et terroirs.»

La Colombe (Féchy) : «Laura Paccot dispose d’un large domaine de dix cépages différents, mais son chasselas est divin. Le «Bayel» a d’ailleurs été le tout premier vaudois à briser l’hégémonie des valaisans et à remporter la Coupe Suisse du chasselas. Sur les traces de son père, la vigneronne continue aussi l’exploration dans les vins dits mutés, qui ressemblent au porto.» (Le mutage du vin est le procédé visant à arrêter la fermentation alcoolique du moût, autrement dit des raisins pressés, par l’ajout d’alcool, ndlr.)

LE LAVAUX

Clos du Boux (Épesses) : «Le chasselas «Chemin de Fer» de Luc Massy fait partie des incontournables de la région. On le déguste dans toute la Suisse. Il est considéré comme une figure importante du patrimoine vaudois. Luc Massy conçoit également un rouge «Chemin de Terre», assemblage de gamay, pinot noir et merlot. Toujours dans l’idée de proposer un vin généreux.»

Bujard Vins (Villette) : «Dans un style totalement différent, Béat-Louis Bujard propose également un chasselas d’exception, comme son «Villette La Combe». Il fait partie des bonnes adresses de la région. C’est une valeur sûre en termes de vin.»

LE CHABLAIS

Domaine de la Pierre-Latine (Yvorne) : «Philippe Gex propose une définition totalement différente du chasselas, avec une senteur de fruits blancs et légèrement anisée, dont notamment le «Clos du Crosex Grillé». On observe qu’un même vin produit des arômes différents sur un autre terroir.»

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Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans The Lausanner (no5).