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Tout le pouvoir au Conseil

La loi «Covid-19» voulue par le gouvernement pour prolonger le droit d’urgence provoque surtout une belle levée de boucliers.

Évidemment la tentation était grande. Oh, ce n’est pas encore un «Patriot Act» à la George Bush après le 11 septembre, mais le principe est le même: profiter d’une crise majeure pour muscler ses petites prérogatives.

Tout est parti de la période de confinement. Comme la Constitution et la loi sur les épidémies le permettaient, le Conseil fédéral a promulgué, au nom du droit d’urgence, toute une série d’ordonnances et de mesures visant à combattre les effets néfastes produits par la crise du coronavirus. La durée légale de ces décisions est de six mois. Un temps bien court quand on a pris l’habitude, et peut-être bien le goût, des pleins pouvoirs.

Aussi, dès le mois de juin nos très avides sept sages ont présenté un projet de loi «Covid-19» visant à prolonger la mainmise du gouvernement fédéral sur toute une série de domaines, allant des capacités sanitaires à la protection des travailleurs, en passant par les procédures d’asile, la justice, les aides à la culture ou encore les assurances sociales. Au détriment bien sûr des autres acteurs, notamment les cantons.

Lesquels autres acteurs n’entendent naturellement pas se laisser manger tout cru. Le Parlement doit examiner cette fameuse loi Covid en septembre et les boucliers sont déjà bien levés. Lors d’une première consultation en juillet, seul le PDC, toujours bon garçon, s’est prononcé pour, tandis que le PLR, le PS et l’UDC disaient unanimement et franchement «niet».

C’est ce qui a occasionné une première reculade du gouvernement sur un des points les plus contestés: la durée de cette prolongation des pleins pouvoirs. Le Conseil fédéral souhaitait que la loi reste en vigueur jusqu’à fin 2022. Ce sera fin 2021.

Les cantons n’ont quant à eux, été que 14 à approuver sans réserve la manœuvre et ont fini par obtenir qu’au lieu d’être simplement «consultés» dans les décisions, comme il était d’abord prévu, ils soient carrément «associés», une notion, il est vrai, qui ne mange pas de pain.

Les partenaires sociaux pourtant, genre Union syndicale suisse (USS) ou Union suisse des arts et métiers (USAM), ne pourront même pas  goûter à ce pain dur: ils ne seront que «consultés dans la mesure du possible». Et ce au prétexte qu’ils ne joueraient pas un rôle aussi important que les cantons dans la gestion d’une épidémie.

Cette raison n’a pas beaucoup plu au patron de l’USS, Pierre-Yves Maillard, qui expliquait que les partenaires sociaux avaient été «très actifs dès le début du confinement», et qu’une loi Covid qui se respecte devrait naturellement tenir compte des «dimensions socio-économiques de la crise».

Enfin, les juristes professionnels se sont montrés aussi très critiques, à l’image de l’insubmersible Suzette Sandoz, qui fut longtemps professeur de droit de la famille et des successions, qui y va ici à la sulfateuse: «Ces mesures d’urgence représentent évidemment une atteinte grave aux libertés individuelles, aux droits fondamentaux, à la démocratie et au fédéralisme». Rien que ça.

Elle reconnaît «souhaitable» que le Conseil fédéral «prenne à l’avance les mesures nécessaires pour faire face à une récidive de la pandémie», mais Suzette Sandoz estime tout aussi indispensable de se «demander si on ne pourrait pas faire sérieusement le bilan de la situation sanitaire avant toute nouvelle mesure privative de liberté». En n’oubliant pas de «mettre ouvertement les éléments humains, sociaux, éthiques, économiques dans la balance, en plus de la seule sécurité physique ou hospitalière».

Ce qui est sûr, c’est que le slogan «Tout le pouvoir aux soviets» («soviet» étant un mot qui signifie «le conseil» dans la langue de Pouchkine), n’enthousiasme plus guère les foules, même en Biélorussie.