LATITUDES

L’OMS: l’éternel bouc émissaire

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) est critiquée pour avoir relayé les positions chinoises minimisant la transmissibilité du virus. La crise actuelle va-t-elle l’affaiblir, ou entraîner une réforme de ses structures ? Explications.

Comme à son habitude, le président américain, Donald Trump, a lâché ses vérités sur le réseau social Twitter. Le 7 avril, il déclare que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est « vraiment plantée » dans sa gestion de la crise du Covid-19, lui reprochant également d’avoir été du côté de la Chine. Après la critique viennent les sanctions. Quelques jours plus tard, il suspend la contribution des États-Unis au financement de l’organisation, soit environ 20% de son budget, pour qu’une étude indépendante examine le rôle de l’OMS dans la « mauvaise gestion » de la pandémie (ndlr: le 29 mai, le pays a annoncé qu’il arrêtera toute participation au budget de l’OMS).

S’agit-il seulement d’une manœuvre du président américain pour cacher ses propres manquements ? Depuis les déclarations de Donald Trump, des pays comme l’Australie ont également publiquement remis en cause la gestion de l’OMS, sans toutefois suspendre leur contribution financière. Plusieurs articles de presse ont, par ailleurs, démontré comment le gouvernement chinois avait su imposer son rythme aux décisions prises par l’OMS au début de la pandémie.

Une enquête du journal Le Monde du 27 avril révèle plusieurs pistes accablantes. Entre le moment où les autorités chinoises ont informé l’OMS de la présence d’une nouvelle forme de coronavirus sur son sol, le 31 décembre dernier, et le moment où l’institution déclarait l’état de pandémie mondiale le 11 mars, le gouvernement central a tenté de dédramatiser la situation et aurait réussi à influencer les prises de décision de l’OMS. Un exemple : à la mi-janvier, alors que des preuves de transmission du virus de personne à personne existent déjà, l’OMS publie une étude chinoise affirmant le contraire. Le pays aurait ainsi réussi à repousser la déclaration du Covid-19 comme «urgence sanitaire prioritaire de portée internationale » jusqu’au 31 janvier.

Affront diplomatique

Plusieurs articles ont également dénoncé une certaine complaisance de la part du directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, vis-à-vis du gouvernement chinois. Lors d’une réception au Palais du Peuple le 28 janvier, il louait l’efficacité et la vitesse avec lesquelles les autorités locales avaient réussi à endiguer la propagation du virus. Il mettait aussi en avant la transparence de la Chine dans le partage des informations. Deux mois plus tard, le pays devait admettre que ses chiffres sur le nombre de cas avaient été largement sous-estimés. Par ailleurs, plusieurs médecins, journalistes et activistes chinois ont été arrêtés depuis le début de la crise sanitaire, soit pour avoir « lancé des rumeurs » sur le danger du coronavirus, soit pour avoir critiqué le régime pour sa gestion de la crise.

L’OMS est-elle sous l’emprise de la Chine ? Le pays a bien renforcé son poids au sein de l’organisation depuis l’épidémie liée au virus SRAS en 2003, estime Laurence Boisson de Chazournes, professeure de droit à l’Université de Genève. « À l’époque, la Chine n’avait pas encore la place sur la scène internationale qu’elle occupe aujourd’hui, explique-t-elle. L’OMS avait alors vivement critiqué le pays dans sa dissimulation de l’ampleur de l’épidémie à la communauté internationale et dénoncé sa mauvaise gestion de la crise sanitaire. Le gouvernement chinois l’a pris comme un affront diplomatique. » C’est à partir de ce moment que le pays s’est mis à peser davantage sur les décisions de l’organisation, afin d’éviter une nouvelle humiliation publique. Dans ce contexte, la Chine a aussi augmenté sa contribution financière au budget de l’OMS, avec par exemple une hausse de 52% de ses contributions depuis 2014 pour atteindre 86 millions de dollars aujourd’hui.

Selon Laurence Boisson de Chazournes, les organisations internationales telles que l’OMS reflètent l’équilibre géopolitique : ces vingt dernières années, la Chine a étendu son influence dans de nombreux domaines économiques et politiques. Cette part grandissante se fait au détriment des États-Unis qui, depuis l’élection de Donald Trump, ne sont plus dans une optique de soutien aux organisations internationales. « Il ne faut pourtant pas en conclure que l’OMS fait tout ce que la Chine dit », estime-t-elle.

Un budget dérisoire

La spécialiste rappelle également que les critiques vis-à-vis de l’organisation ne sont pas nouvelles. À chaque occasion, les États remettent en question sa gestion des crises sanitaires. Ainsi, en 2009, lors de l’épidémie de la grippe A H1N1 – qui a fait environ 200 000 morts dans le monde –, les États ont reproché à l’institution d’avoir qualifié trop rapidement la situation de «pandémique» et d’avoir été alarmiste.

Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à la Faculté de médecine de l’Université de Genève, rappelle le pouvoir restreint de l’organisation. «Ce sont les États membres qui ont décidé que l’OMS devait être structurée comme une organisation internationale – et non supranationale. De ce fait, elle la prive d’un pouvoir de sanction et de la possibilité d’édicter des directives contraignantes (comme le font l’Organisation internationale du travail ou l’Organisation mondiale du commerce, par exemple). Elle ne peut émettre que des ’recommandations transitoires’, ce qui explique aussi que les modalités de réponse des gouvernements nationaux face au Covid-19 varient autant d’un pays à l’autre.» En outre, le budget annuel de l’OMS de 4,4 milliards de dollars limite son action – à titre de comparaison, le budget annuel du CHUV se monte à près de 1,8 milliard de francs.

Néanmoins, la question d’une amélioration de l’organisation se pose régulièrement. Une étape importante a été par exemple la réforme, en 2005, du Règlement sanitaire international en réponse à la crise du SRAS. Ce règlement engage les États membres à détecter, à rapporter à l’OMS et à répondre à toute menace sanitaire de portée internationale. Parmi les pistes d’optimisation actuellement discutées, Antoine Flahault évoque une plus grande harmonisation des méthodes de recueil des données épidémiologiques pour aider à un meilleur pilotage de la crise et inspirer une plus grande confiance du public vis-à-vis des autorités pendant les périodes de crise sanitaire.

Mais il faudra surtout éviter une nouvelle fragmentation du paysage de la santé globale, estime Antoine Flahault : «Les crises ont récemment servi ceux qui souhaitaient l’affaiblissement de l’OMS et son démantèlement progressif au profit d’organisations internationales alternatives spécifiques, comme l’Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation (GAVI), le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme ou Onusida.» Comme après chaque crise, les États consacreront sans doute davantage de moyens à la lutte contre les virus émergents dans l’après-coronavirus : «Mais il est encore tôt pour dire si cela mènera à un renforcement de l’OMS – ou à la poursuite de sa fragmentation laissant alors une organisation plus fragile.» /

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OMS : Un bénéfice évident dans les pays pauvres

« L’action de l’OMS est souvent plus visible dans les pays sans système de santé public performant », explique Laurence Boisson de Chazournes, professeure ordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Genève. Parmi les exemples récents, elle cite l’épidémie liée au virus Ébola qui a frappé plusieurs pays africains depuis 2014. Ainsi, l’OMS a contribué au développement de deux vaccins (voir aussi In Vivo 19, p. 45). En République démocratique du Congo, un des pays les plus touchés par l’Ébola, l’organisation a coordonné l’ensemble des tests cliniques et a étroitement travaillé avec les autorités sanitaires locales pour lutter contre la maladie causée par le virus.

Parmi les grands succès de l’OMS figure également l’éradication de la variole. Issue du virus Orthopoxvirus variola, cette maladie avait hanté l’humanité durant plus de 3000 ans, tuant presque un tiers des infectés. Au XXe siècle, la variole a provoqué environ 300 millions de victimes dans le monde, notamment dans les pays en voie de développement. C’est en pleine guerre froide, à la fin des années 1950, que la communauté internationale a décidé – grâce à la coordination de l’OMS – de vacciner les populations selon une méthode systématique et d’isoler les personnes.

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Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans In Vivo magazine (no 20).

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