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Au nom de la loi

Législateur, voilà un métier difficile et mal reconnu. Qu’il s’agisse d’organiser le déconfinement ou de lutter contre le terrorisme. 

Dura lex, patati, patata. On légifère, on se couche la conscience tranquille, pour se réveiller au matin, des huées sous ses fenêtres, et découvrir qu’une loi cela sert à tout, sauf à faire disparaître par magie les problèmes qu’elle entendait résoudre.

Cela vaut même pour des dispositions temporaires, prises par exemple pour accompagner un déconfinement. Celle voulant que tout rassemblement de plus de 300 personnes soit encore interdit donne, par exemple, des boutons à la droite économique. L’UDC imagine même que cette restriction de foule, on ne sait trop comment, vouerait des milliers d’entreprises à la faillite.

Le Parti radical se montre plus insidieux dans sa critique, trouvant étonnant que l’on ait autorisé une manifestation de 10’000 personnes à Zurich au motif de démonstration antiraciste, mais que l’on continue de limiter le nombre de personnes dans les magasins et les restaurants. Economic lives matter, donc. Tout en posant à Alain Berset une question effectivement embarrassante: le Conseil fédéral ferait-il une distinction «entre des motifs qui justifient les transgressions et des motifs qui ne les justifient pas?»

Force doit rester à la loi, marmonne le vieil adage. Facile à dire, quand ceux qui sont chargés de la faire respecter la loi, sentent bien qu’ils ne disposent plus de l’autorité nécessaire. C’est le président de la Conférence des commandants des polices cantonales, Stefan Blättler, qui vend délicieusement la mèche à propos des rassemblements antiracistes: «Si nous avions dispersé les manifestants, les gens auraient été encore plus nombreux à descendre dans la rue».

Il peut arriver parfois, outre la faiblesse des forces de l’ordre, qu’une loi peine à s’imposer parce qu’elle contient décidément une trop forte dose d’absurdité. Comme cette disposition du Conseil fédéral autorisant la réouverture des boîtes de nuit, mais les contraignant à fermer dès minuit. Ce qui en ferait presque des boîtes de jour.

On ne savait pourtant pas ce virus spécifiquement noctambule et ne sortant qu’à l’heure du crime, comme un vulgaire éventreur. Ainsi que le dit très justement un tenancier, c’est la porte ouverte à tous les abus: «les gens préféreront logiquement aller faire du sport ou retrouver leurs amis en terrasse à ces heures-là.»

Même sur un sujet que vous pensiez consensuel, la lutte contre le terrorisme, il se trouvera toujours quelqu’un de chatouilleux pour critiquer votre bel arsenal législatif. Ainsi, ni le Conseil de l’Europe, ni Amnesty International ne goûtent le nouveau projet du Conseil fédéral visant à muscler les lois antiterroristes, tandis que la gauche dénonce une réponse autoritaire, ce qui était justement le but recherché.

Le Conseil de l’Europe, plus précisément, craint «une ingérence excessive et arbitraire dans les droits de l’Homme». Sans doute au nom d’un syllogisme à faire frémir Socrate: tout terroriste est un homme, tout homme a des droits, donc tout terroriste a des droits. La plateforme des ONG pour les droits humains trouve, elle, que «lutter contre le terrorisme en foulant au pied des engagements inscrits dans la Constitution fédérale menace notre sécurité». Quant à savoir ce que le terrorisme menace, c’est une autre question, sans doute moins intéressante et moins urgente.

Montaigne, qui chanta la gloire de l’individu avant tout le monde, avait pourtant bien prévenu: puisque nos actions en perpétuelle mutation n’avaient de toute façon jamais que peu de rapport avec des textes de loi fixes et immobiles, autant qu’elles fussent, ces lois, «simples, rares et très générales». Ajoutant même qu’il aurait mieux valu n’avoir «point de lois du tout que d’en avoir comme aujourd’hui en si grand nombre».