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Tant d’autres peurs

C’est un peu comme s’il nous manquait déjà, ce vilain virus. Comme s’il fallait vite nous précipiter sur d’autres peurs, d’autres angoisses, nous lancer dans d’autres héroïques combats. Comme si mieux valait une pandémie que rien du tout.

Heureusement l’actualité, grâce à la merveilleuse puissance de feu mondialisée des réseaux sociaux, vole à notre secours et nous aide à remplir le grand vide du déconfinement et du retour à la normale. Des émeutes raciales de l’autre côté de l’Atlantique sont l’occasion de nous souvenir que chez nous aussi, en cherchant bien, on pourra trouver quelque traces de violences policières pour alimenter une peur et une rage devenues soudain sans objet ni carburant.

Même pas besoin de chercher très longtemps ni très loin puisque la semaine dernière a eu lieu une audience d’instruction concernant la mort en 2018 d’un Nigérian de 40 ans lors d’une interpellation policière musclée avec plaquage ventral. C’était à Lausanne, lors d’un contrôle de stupéfiants. Suffisant pour nous faire songer que face à la police, il ne sert à rien de se laver les mains, et que la distanciation sociale n’est pas toujours évidente à respecter. Frissons garantis.

Voilà donc déjà une peur, celle de l’uniforme, propre à remplacer l’angoisse de la contagion. Même si, bien sûr, certains sont plus réellement exposés que d’autres. Chancel Soki par exemple, président de l’association «A qui le tour», explique son gros souci dans les médias: «En tant que suisse d’origine congolaise je ne me sens pas en sécurité dans mon propre pays, à tout moment je peux être confondu avec un dealer ou un voyou en faisant mon jogging et risquer un contrôle potentiellement violent». Presque de quoi s’autoconfiner derechef.

Si malgré tout, on peine à avoir peur du gendarme, il reste par bonheur d’autres motifs de sournoise inquiétude. Une jeune journaliste dans Le Temps se fait ainsi des cheveux blancs à propos d’un sujet prêt à resurgir des tiroirs de la politique fédérale: le mariage pour tous avec la question subséquente de la PMA pour les couples homosexuels. En voilà bien un sujet anxiogène. Surtout, à ce qu’il paraîtrait, que même pour les nouvelles générations un coming out resterait quelque chose de bien «intimidant».

Mais tout le monde évidemment ne saurait être concerné. Heureusement, mise en veilleuse par l’épidémie, une souffrance sournoise semble prête à reprendre du service: l’éco-anxiété. Autrement dit la tristesse et l’angoisse que peuvent engendrer la dégradation de l’environnement et les dérèglements climatiques. A cet égard le Covid-19 a ajouté une pièce supplémentaire et inédite dans la machine à flipper.

Voici en effet  une nouvelle source gratinée de pollution: les masques et les lingettes désinfectantes abandonnés n’importe où et qui peuvent finir dans les lacs et les rivières quand ils n’engorgent pas, en les endommageant, les systèmes d’évacuation. Il s’agit souvent de plastique donc non-biodégradable, avec, cerise aggravante sur l’inquiétant gâteau, le fait que les masques contaminés peuvent rester contagieux quelques jours.

Enfin, dans cette atmosphère étrange, même les bonnes nouvelles semblent porteuses d’inquiétude. L’Italie décide de rouvrir ses frontières et au lieu d’un concert d’alléluia, cela met, paraît-il, dans l’embarras les pays de l’espace Schengen dont la Suisse, qui auraient préféré que la Botte reste encore un peu fermée.

Face à ce manque d’enthousiasme le ministre italien des Affaires étrangères, Luigi di Maio, a mis en garde ses chers voisins de ne pas traiter l’Italie «comme un lépreux». Voilà en tout cas revenu un syndrome qu’avaient pu connaître nos arrière-grands-parents et qu’on pensait à jamais disparu: la peur de l’Italien.

Face à tant de périls qui galopent dans nos têtes, il pourrait ne pas être inutile de méditer la fameuse parabole de l’abbé Houellebecq: «N’ayez pas peur du bonheur. Il n’existe pas».