L’événement se prête aux analyses balistiques ou géopolitiques. Mais c’est surtout du point de vue capillaire que ce Mondial se révèle passionnant.
Voilà, c’est fait. Depuis que j’ai installé une télévision au salon de coiffure, il y a une semaine, mon chiffre d’affaires se porte beaucoup mieux. Désormais, c’est chez moi qu’ils viennent. L’ambiance est formidable. Ca hurle, ça crie, ça chante, ça se moque, ça pleure même.
Et oui, les femmes s’intéressent de plus en plus au foot, et pas seulement pour regarder en gloussant les cuisses des uns et les abdomen des autres. L’autre jour, deux clientes ont même rivalisé de pédagogie pour expliquer la règle délicate du hors jeu à un jeune homme, supporter du Portugal, qui croyait les piéger.
Certaines de mes fidèles clientes, que je ne savais pas férues de ballon rond, ont même développé des discours enflammés sur les répercussions du sport sur le monde politique. Anaïs notamment, qui a transformé mardi le bac à shampoing en podium de meeting, prenant chaque cliente à partie:
«Depuis que Le Pen est sorti des urnes, la France a perdu sa niak. Elle n’a pas placé un seul film au Festival de Cannes et s’est faite éliminer à Roland Garros. Comment voulez-vous que onze footballeurs réparent ce que le monde politique a soigneusement disloqué?»
«Pareil pour l’Argentine, a-t-elle poursuivi. Ce sont les pays qui croient en leurs institutions comme l’Espagne, la Suède ou le Danemark, ou les nations en quête de plus de démocratie comme le Sénégal ou le Brésil qui remporteront cette Coupe!» Le discours d’Anaïs fut salué par plusieurs applaudissements.
La plupart des clientes n’ont pas la véhémence d’Anaïs et préfèrent entretenir avec le ballon rond un rapport plus affectif, établissant avec une certaine gourmandise leur hit parade des joueurs les plus sexy.
Celles qui suivent le football depuis plus de dix ans vénèrent l’Argentin et vétéran Gabriel Batistuda, qu’hélas on ne reverra plus. Le ténébreux ibère Javier de Pedro commence à voir sa cote augmenter tandis que Maldini, le capitaine de l’équipe d’Italie qui ressemble tant à Marc Lavoine, fait toujours rêver les quadragénaires.
Les clientes restent néanmoins fidèles à Zinedine Zidane, au regard profond et à la calvitie intelligente, le seul des Français qui trouve grâce à leurs yeux. «Il est dans toutes les pubs, et pourtant il sait rester discret!» Les Blacks du Sénégal ont aussi leur sympathie, tout comme Dennis Rommedahl, belle gueule de voyou mélancolique de l’équipe danoise.
Mais la révélation de ces premiers jours, c’est le jeune Japonais Inamoto que les teenagers adorent, notamment pour sa coupe vert platine. Car, je dois le dire maintenant que je suis contrainte d’assister à tous les matches, cette coupe du monde est, du point de vue strictement capillaire, passionnante.
Il est loin le temps où le sublime David Ginola faisait des envieux avec ses cheveux soyeux et ses brushings impeccables. Aujourd’hui, les joueurs ne veulent pas être bien coiffés, mais immédiatement identifiables grâce à leur coupe.
C’est tout ce qui leur reste de liberté dans la construction de leur image, le reste de leur tenue, du maillot aux chaussures, étant frappé du sigle de leurs sponsors.
Sixtus dans les cheveux, bandeaux, catogans, crête d’iroquois, crâne rasé, couettes, bandanas, permanentes, dreadlocks, on voit de tout sur les terrains du Mondial.
Et surtout beaucoup de décoloration, le grand hit de cette Coupe 2002. Elle se pratique essentiellement chez les joueurs les plus typés. C’est ainsi que les Japonais ou les Coréens, génétiquement noirauds, se retrouvent avec des cheveux roux à la Rita Hayworth ou blonds à la Marilyn Monroe, trahissant leur désir de devenir des stars.
De toutes les nations asiatiques présentes sur le terrain, seuls les Chinois ont respecté leur nature capillaire. Ils semblent même en avoir éprouvé une certaine fierté, comme pour dire à cet Occident dégénéré qu’ils ont vraiment autre chose à faire qu’à passer leur après-midi avec des papillotes sur la tête! Cela ne leur a pourtant pas porté bonheur: ils ont été disqualifiés.
Entendons-nous bien. Je ne suis pas en train de prétendre que la victoire appartient à ceux qui se rendent régulièrement chez le coiffeur. Je pense même exactement le contraire.
Le Nigérien Taribo West m’a soufflée avec ses petites tresses décolorées à la Teletubbies, mais son équipe n’ira pas plus loin que le premier tour. Les cheveux péroxydés de de Silva m’ont frappée, mais pas le jeu de l’Uruguay, éliminé en même temps que la France et ses crânes de fesses de bébé qui ont fait la gloire de Barthez et Le Boeuf.
Je regretterai beaucoup en revanche l’éviction de l’Argentine. Parce que c’est une très grande équipe, évidemment, mais aussi parce que l’un de ses joueurs, Ariel Ortega, avait eu le courage, sans être ridicule, de remettre à la mode une des coupes les plus honteuses jamais réalisées sur l’être humain, la coupe «mullet», dite «du footballeur»: très courts devant et très longs derrière.
