LATITUDES

Génération covidéaliste

En Suisse, jeunes et moins jeunes se mobilisent pour les autres. Un élan qu’ils comptent bien faire perdurer une fois la crise sanitaire passée.

Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans PME Magazine.

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En cette fin de journée, des airs de Claude François résonnent des platines installées sur ce balcon situé dans le quartier des Eaux-Vives à Genève, par ailleurs équipé d’un arsenal d’effets lumineux et d’une machine à bulles. Au pied de l’immeuble, des gens dansent et applaudissent, bien évidemment à distance réglementaire.

Animé par des DJs en tenues affriolantes, l’événement est l’œuvre de l’Association des Beaufs Genevois. «Nous prenons beaucoup de plaisir à rendre heureux les gens en cette période de confinement», souligne Florian Parini, alias DJ Floff. Nos soirées ayant été annulées, nous avons décidé de les partager de cette manière inédite, inspirés par l’exemple d’un DJ italien.» Le collectif organise aujourd’hui aussi des soirées via les réseaux sociaux ou les programmes de visioconférence.

Efforts spontanés

Au soutien moral s’ajoutent des offres plus terre-à-terre: courses alimentaires et pharmaceutiques, garde d’enfants ou promenade de chien effectués par les plus jeunes. C’est notamment le cas d’Aurane Bugnon, 21 ans, responsable au sein du groupe scout du Christ-Roi à Fribourg. «Nous enregistrons beaucoup de demandes. Cela s’est organisé de manière très spontanée, les adultes de chaque groupe de scout se sont vite proposés en fonction de leurs disponibilités.»

Dans le canton de Vaud, les personnes vulnérables de plus de 200 villages bénéficient depuis plusieurs semaines de l’aide des membres des Jeunesses campagnardes. «Une première jeunesse s’est lancée, et cela a créé un effet boule de neige», explique Lucie Theurillat, 24 ans, vice-présidente de la Fédération Vaudoise des Jeunesses Campagnardes. Une offre très appréciée de la part de petites communes n’ayant pas forcément moyen de mettre sur pied un service ad hoc. «Je suis d’ailleurs persuadée que cette solidarité va continuer d’une façon ou d’une autre», estime la jeune femme, elle-même bénévole.

La plupart de ces initiatives émergent de réseaux préexistants, observe Sylvain Leutwyler, responsable du programme «A vous de jouer» de la Fondation Ethique et Valeurs à Genève. Lancée en 2009, cette structure vise à sensibiliser les jeunes à l’engagement et à soutenir leurs projets. «Ce qui est impressionnant, c’est la rapidité de la mise en place des offres. La plupart des groupes étaient opérationnels quelques jours seulement après l’entrée en vigueur des mesures de confinement.»

Le jeune homme estime que la situation contient cependant son lot de développements positifs. «Le contexte actuel peut favoriser une prise de conscience qu’il est possible d’être acteur sur le monde qui nous entoure. Il permet également de nouvelles mises en réseau. Enfin, les institutions et la société vont peut-être mieux se rendre compte de l’apport précieux des jeunes générations.»

Livrés par des footballeurs

L’élan est aussi porté par des structures plus importantes. Des bénévoles de la Croix-Rouge suisse livrent désormais sans frais des commandes effectuées chez Coop aux clients âgés de plus de 65 ans. Le groupe Migros s’est, pour sa part, associé à Pro Senectute pour relancer temporairement la plateforme Amigos, suspendue en novembre dernier. Elle permet aux personnes à risque de créer une liste de courses, qui sera effectuée et livrée dans les heures qui suivent par des volontaires. Parmi eux figurent notamment des footballeurs des Young Boys de Berne et des hockeyeurs de l’EHC Bienne.

«La proposition de remise en ligne et d’adaptation de ce service a été suggérée par des clients via les réseaux sociaux, souligne Tristan Cerf, porte-parole de Migros. Il a fallu pas mal de travail nuit et jour de la part de nos développeurs pour mettre au point une solution satisfaisante sur le plan technique et adaptée à la crise actuelle.»

Un labeur qui a depuis enregistré un vrai succès: à la mi-avril, plus de 22’000 courses qui ont été réalisées au profit des personnes à risque. Ces dernières se montrent enchantées par l’attention: 98,7% des livraisons sont ainsi récompensées d’un pourboire de 5 francs. «Ce sont des chiffres qui montrent qu’il ne s’agit pas d’un gadget, mais d’un moyen très apprécié d’aide entre voisins. Cela a par ailleurs permis de désengorger en partie les services logistiques de notre magasin en ligne LeShop.ch, et aussi de La Poste, ce qui est très appréciable vu la situation difficile en matière de logistique.» Peter Burri, porte-parole de Pro Senectute Suisse, est enchanté de l’efficacité de ce système: «Pour les personnes âgées, il est très précieux de bénéficier d’un service qui fonctionne d’égal à égal.»

Donner du sien

L’engagement bénévole s’étend aux personnes déjà mobilisées par des institutions étatiques. Membre de la Protection Civile, Vincent Widmer vient de lancer une entreprise spécialisée dans les technologies éducatives. Pour autant, le trentenaire genevois n’a pas hésité un instant à se porter volontaire pour pallier les empêchements de ses camarades de l’Organisation Régionale de Protection Civile Champagne, basée à Bernex (GE). Cette dernière s’occupe depuis la fin mars de traiter 7 jours sur 7 les plus de 200 appels quotidiens reçus par la ligne verte mise en place par le canton. «En ce moment, cela fait vraiment sens d’aider sa communauté. On s’en sort mieux si tout le monde donne un peu du sien. D’autant plus qu’on sent une réelle utilité à répondre aux gens anxieux ou cherchant des réponses à des problèmes liés au confinement.»

D’autres s’inspirent de cette période pour de nouvelles créations artistiques. José Gaggio, 60 ans, travaille dans le domaine technique. Depuis quelques années, il présente aussi ses œuvres de «street art virtuel», combinant prises de vue et œuvres d’artistes, lors d’expositions. Sa dernière série, visant à remercier le personnel soignant, a été réalisée en collaboration avec une quarantaine de créateurs de la région. «C’est une manière de souhaiter courage à toutes ces professions sur le terrain et à ceux qui nous font vire, tout en illustrant notre quotidien de façon joyeuse.»