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Isabelle Guisan à la conquête de son Asie mineure

C’est une enquête du troisième type que vient de publier la journaliste et écrivain de Rolle. Un livre inclassable, hautement recommandable.

Certains livres s’offrent plus facilement que les autres. Ils se laissent emballer dans du papier-cadeau ou refiler discrètement sous le manteau, sans raison apparente, mais avec la conviction qu’ils finiront forcément par enrichir leur destinataire. Peut-être parce qu’ils transportent une cargaison clandestine? Le bon libraire repère vite ces privilégiés du bouche-à-oreille. Il sait qu’il peut les recommander sans hausser la voix.

Le dernier livre d’Isabelle Guisan appartient à cette classe. Avec son titre qui tombe à plat, «A l’ombre des confitures en pot» risque pourtant de dissuader – ça commence comme du Proust et ça se termine comme Betty Bossi. Un exemple parmi d’autres de l’ironie très particulière de la narratrice, qui dit «c’est mon côté vaudois, j’aime bien quand ça retombe». Isabelle Guisan est collaboratrice occasionnelle et amie de Largeur.com.

Ce livre est son septième, mais aussi le premier qui l’expose totalement. Il peut être lu comme un roman d’investigation, une sorte d’enquête policière où l’auteur creuse les strates de sa mémoire, puis remonte le fleuve de son histoire familiale pour élucider une énigme.

L’affaire commence par une mort d’homme, on le comprend dès la première page. C’est le frère de la narratrice qui a disparu. Elle rassemble alors une série de documents visuels inclassables, étranges pièces à conviction qu’on retrouve soigneusement reproduites entre les chapitres. Au fil de ces images et d’un carnet de notes intimes, l’enquête décolle vite de la campagne vaudoise pour atterrir en Asie mineure, sur des traces maternelles.

Que s’est-il passé? Il y a une mort à éclaircir, et le principal suspect a aussi disparu. La sœur aînée, têtue, veut comprendre. Elle commence par fouiller sa propre histoire dans les recoins d’une maison familiale au bord du lac de Neuchâtel. Elle se sent peut-être menacée, deuxième sur la liste. Alors elle enquête, elle va creuser en elle-même pour trouver des indices, un peu comme le détective d’«Element of crime» de Lars von Trier. «Je palpe et repalpe mon étrangeté».

L’investigation prend des dimensions internationales. La narratrice quitte l’introspection, boucle ses valises et part vers «cette région qu’aucun parent vivant n’est encore allé découvrir: la Capadoce, au centre de l’Anatolie». Le lecteur est emporté sur des îlots de pierre et des routes byzantines, dans des salons silencieux et des villes sous-terraines, avec la conviction que l’auteur n’invente absolument rien. «A l’ombre des confitures en pot» parle juste. Il raconte une histoire authentique, obstinément autobiographique, qui se termine dans une libération.

Très subtil dans sa mise en page, cet ouvrage constitue aussi un beau document sur la Suisse et l’ailleurs. On pourra lui reprocher un certain nombrilisme, mais Isabelle Guisan s’en fiche: elle a compris que notre lien à l’humanité est forcément ombilical.

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«A l’ombre des confitures en pot» d’Isabelle Guisan, éditions Slatkine. En vente en librairie. Pour commander l’ouvrage, écrivez-nous.