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Luc Ferry, la philosophie-spectacle arrive au pouvoir

Avant sa nomination au gouvernement, le philosophe s’était distingué par sa gestion d’image davantage que par ses écrits. Portrait circonstancié.

Jean-Pierre Raffarin a-t-il mis un philosophe ou un bouffon à la tête du ministère de l’Education nationale et de la Recherche? Si je me pose cette question, c’est que j’ai lu l’an passé un ouvrage au vitriol publié en Belgique, «Oubliez les philosophes!», qui dénonce le «philo-circus» hexagonal en prenant précisément Luc Ferry comme exemple-type du bouffon.

A l’annonce de cette nomination surprise, j’ai replongé dans ce pamphlet qui a pour auteur Maurice T. Maschino, journaliste, écrivain et professeur de philosophie durant 35 ans. Son argumentation, la voici: un philosophe s’occupe de philosophie alors que «ceux-là» se préoccupent d’abord d’eux-mêmes. Un philosophe sert la philosophie alors que «ceux-là» s’en servent comme marchepied ou faire-valoir et n’hésitent pas à ouvrir les portes de leur vie privée aux journalistes.

Ceux-là? Ces philosophes français imbus d’eux-mêmes, bouffis de suffisance, batifolant avec des abstractions, bref, se livrant à de la «philosophie-spectacle», selon Maschino. La plupart de leurs compatriotes aiment ça et en redemandent. La philosophie est à la mode et ses grands prêtres vont devenir «sinon des rois, du moins les vice-rois de la cité». Une prédiction qui semble se vérifier aujourd’hui avec la nomination de Ferry au gouvernement.

Sollicités par les médias, solidement implantés dans les maisons d’édition, ces commis voyageurs de la philosophie sont des «individus insignifiants (intellectuellement) et prétentieux», «avides de postes, de pouvoir et de gloriole, pontifiants et sectaires», «contribuant activement, en un mot, à l’érection de leur statue».

«La «nouvelle vague des divertisseurs», comme dit Castoriadis, ne lésine pas sur les moyens pour promouvoir sa camelote. Je pense (entre autres) à Luc Ferry.»

Ou plutôt, il n’y pense pas, il le voit. Devant ses yeux défilent les photos de Paris Match où le futur ministre pose en chemise blanche, col ouvert, large sourire, assis à son bureau. Photo dans la photo: le philosophe et sa fille. Page suivante, Ferry assis près d’un violon, l’air méditatif. Puis Luc «Ferry-boat» (dit la légende) dans la baie de Saint-Tropez qui tient la barre avec sa fille. Le philosophe en compagnie de son ami François Bayrou (Paris Match, 6 juin 1996).

Et rebelote deux ans plus tard, Paris Match le sert, assis sur un canapé, en chemise bleue, détendu. Et remet ça l’année suivante: cette fois en complet clair, cravate rouge, l’air satisfait. On ajoute une photo de son mariage, une autre vieille de vingt ans, devant la Sorbonne sur sa moto.

Des photos, encore des photos d’un philosophe. N’aurait-il rien à dire? Ce n’est pas le père, ni le plaisancier, ni le mari ou le motard qui intéresse Maschino, qui a l’habitude de juger sur pièces plutôt que sur mine, fut-elle épanouie. Or ces pièces lui paraissent accablantes.

Ce n’est pas Dominique Lecourt qui lui donnera tort. Dans «Piètres penseurs» (éditions Flammarion, 1999), l’essayiste ne se montre pas plus tendre à l’égard de Ferry qui, sous le masque de la philosophie, pratique la «non-pensée» et «abandonne les arguments contre les bons-sentiments».

Pas plus tendre, un grand journal français évoquait «Bouvard et Pécuchet cravatés dans leurs concepts» lors de la parution de «La sagesse des modernes» que Ferry avait rédigé avec son compère André Comte-Sponville.

Alors, que faut-il penser de ce ministre-philosophe?

En lisant ses livres, on s’aperçoit que Luc Ferry est un idéaliste à l’héritage kantien qui critique le déterminisme matérialiste et mise sur «la liberté et la transcendance». Moraliste bien pensant, il se réjouit du «retour du sujet». Un «sujet» qui ne semble avoir comme marge de manœuvre, à ses yeux, que de se laisser couler dans le moule du néolibéralisme ambiant.

Derrière cet élégant dissertateur se cache en fait un idéologue de droite qui excelle dans la cohabitation. Avec Sylviane Agacinsky, épouse de Lionel Jospin, il a notamment produit l’émission «Grain de philo» sur France 3 et s’est fort bien entendu avec son prédécesseur Jack Lang alors qu’il était président du Conseil national des programmes.

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Maurice T. Maschino, «Oubliez les philosophes!» (éditions Complexe).