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Où Le Pen rejoint l’exception culturelle

La démission de Lionel Jospin alimente trois thèmes de réflexion pas forcément agréables pour la France. Les voici.

«J’en tire les conclusions en me retirant de la vie politique». Lionel Jospin s’en va. C’est sa manière à lui de proposer trois thèmes à la réflexion des citoyens, des exégètes médiatiques et des professionnels de la profession politicienne.

Un, le thème de l’affect. Dans tous les secteurs de notre existence quotidienne, les experts et les techniciens sont reconnus selon leurs compétences. En politique, seuls triomphent ceux qui savent se faire aimer. La politique est devenu le lieu par excellence de l’affect social, et de l’exhibition de la compétence affective.

Le cœur des sociétés, de nos jours, ça ne bat plus que dans le spectacle politique, substitut collectif et frénétisé du modèle familial ancien. C’est-à-dire que si vous êtes Jospin, donc travailleur et sérieux, ça ne passe pas. Mais si vous êtes Chirac qui sait flatter le cul des vaches ou Le Pen qui sait mignoter la croupe des nationalistes et des banlieusards angoissés, ça passe. L’un est-il fasciste et l’autre menteur? On s’en fout!

Deux, le thème de l’intérêt général. Tous les candidats en lice au premier tour ont naturellement justifié leur démarche au nom de l’intérêt général. Or Arlette Laguillier produit un discours privé de toute valeur opératoire, et n’a cessé de se révéler comme la plus sûre alliée objective de Le Pen; or Olivier Besancenot se félicite essentiellement d’avoir écrasé Robert Hue; or Jean-Pierre Chevènement se targue d’avoir ressuscité la voix perdue de la nation; or Noël Mamère est heureux d’avoir engrangé nettement plus de voix que Dominique Voynet il y a sept ans.

Autant de narcissismes chimériques et d’affirmations de soi théâtrales: la notion de l’intérêt général n’existe pas en France, pays inventeur des Droits de l’homme au niveau du verbe, mais praticien d’un tribalisme post-aristocratique exacerbé dans la réalité.

Trois, le thème de la nation. On se rappelle que Le Pen, voici quatre ou cinq ans, avait indigné les citoyens bien intentionnés en suggérant la mise en œuvre d’un système de «préférence nationale»: c’était celui qui consisterait à favoriser en toute occasion, notamment dans le domaine professionnel, un Français de souche au lieu d’un étranger.

On se rappelle aussi qu’aux environs de la même époque, un concept faisait florès dans les milieux intellectuels et politiques: c’était celui de l’«exception culturelle» visant à favoriser activement, principalement face au déferlement des films en provenance des Etats-Unis, l’avènement d’objets culturels spécifiquement français. Deux notions plus voisines que prévu, non?

On émettra l’hypothèse ici que celle de la préférence nationale fonde de manière occulte celle de l’exception culturelle – ou, pour être plus précis, que les idées de Le Pen fondent à 17%, depuis dimanche, «une certaine idée de la France».

Raisonnement difficile à gober, direz-vous. Certes, mais n’ayez crainte: aucun observateur hexagonal ne considérera les événements sous cet angle délicat.