D’une violence extrême, «GTA 3» est devenu un best-seller pour Playstation 2. Ces scènes de brutalité influencent-elles les enfants? Témoignage d’une mère d’un garçon de 12 ans.
Je n’avais jamais suivi un jeu vidéo de mon fils du début jusqu’à la fin. Tout au plus, je jetais un œil distrait quand il m’appelait dans un élan d’enthousiasme pour venir assister à «Tony Hawk’s Pro Skater 3», «Rayman 2 Revolution» ou encore «NBA Street». Rien ne retenait vraiment mon attention jusqu’à ce que je découvre «GTA 3» (ou «Grand Theft Auto 3»).
Ce jeu pour Playstation 2 est déconseillé aux moins de 16 ans, mais cela ne soulève pas d’un millimètre le sourcil de la caissière quand un enfant de 12 ans vient l’acheter avec un bon reçu pour son anniversaire.
Le principe de «GTA 3» est simple: le joueur a été embauché à temps partiel pour commettre des effractions dans une ville. Il vole des voitures (sans s’embarrasser de vérifier s’il y a un conducteur ou pas) et accomplit une série de missions commandées par la pègre. Vols et règlements de compte sont les seuls moyens de survie tout au long de la partie.
Les premières images qui apparaissent à l’écran sont celles d’une brute à la démarche menaçante munie d’une batte qui se dirige vers son garage et monte dans sa voiture. Pour une raison que j’ignore, dès la sortie du garage, mon fils aux commandes circule dans la file de gauche à toute allure. Des piétons se jettent devant ses roues. Il les renverse impunément. «Tu roules à gauche! Mais tu ne t’arrêtes pas? Tu viens de renverser quelqu’un!»
Ta mission: tuer un dealer
«Ne t’en fais pas, maman. Ici, les piétons se battent entre eux ou se jettent sur les voitures, on ne peut rien faire pour eux. Il faut simplement les ignorer», me rassure-t-il. J’apprendrai par la suite que s’ils agissent ainsi, c’est grâce à un code publié dans un magazine spécialisé de trucs et astuces (dit éloquemment «cheat sheets» en anglais) qui permet de modifier leur comportement.
Attentive, j’assiste à ma première mission. Dégommer un marchand de nouilles qui vend de la drogue. L’homme en question est bien gardé, et le tuer n’est pas chose facile. Rafales de tirs à la première personne, cartons dans la foule, course-poursuite dans la ville, puis finalement, il est abattu.
Deuxième mission: un vol à main armé pour dérober un convoyeur de fonds. Troisième mission: abattre tous les membres de l’équipage d’un cargo colombien. Il reste un peu plus de 70 missions à accomplir. J’avoue en avoir déjà assez et j’essaie de comprendre l’engouement de mon fils de 12 ans.
«Tu es conscient que c’est d’une violence extrême et complètement immoral?» «C’est un jeu d’adresse et de stratégie, et j’aime bien accomplir les missions, me répond-il. Je sais bien qu’il ne faut pas se comporter ainsi dans la vraie vie. Dans la réalité, une personne a une vie qui a de la valeur pour ses proches, mais dans un jeu vidéo, les personnages sont créés à base de logiciels, ils n’ont pas de valeur.»
Je demande alors à son ami, Henri, 13 ans, s’il n’est pas choqué par toute cette violence. «Dans un jeu, me dit-il, tout n’est qu’une série de milliers de 1 et de 0. Ce n’est pas réel, c’est virtuel. Ce n’est pas comme dans un film où l’on fait de la fausse violence sur des vraies personnes, ce qui est bien pire!» Je reste stupéfaite devant leur raisonnement. Je me tourne alors vers Oliver, 10 ans, qui connaît ce jeu pour avoir un frère aîné qui le pratique. «Tu n’as jamais fait de cauchemars après avoir joué à un jeu pareil?» «Non, jamais. Ce n’est pas comme au cinéma: je n’ai jamais peur avec un jeu vidéo, on voit bien que ce n’est pas vrai.»
——-
«Aucune protestation»
«C’est assez drôle, explique un autre joueur. Si tu butes un flic, tu reçois deux étoiles.» Les particularités moralement discutables de «Grand Theft Auto 3» (GTA 3) ne semblent pas enrayer son succès, au contraire.
Depuis octobre dernier, cette production des studios écossais Rock Star figure parmi les meilleures ventes de jeux destinés à la Playstation 2. Le distributeur suisse peut afficher une satisfaction sans nuage: «Nous n’avons reçu aucune protestation, personne ne s’est plaint de la brutalité des scènes, explique Tino Pivetta, marketing manager de Gamecity. Cela n’a rien de surprenant: en Suisse, le public sait bien faire la différence entre la violence des jeux et la réalité.»
Alors pourquoi ajouter la mention «déconseillé aux moins de 16 ans» sur le carton? «Cette indication est destinée au marché français, poursuit Tino Pivetta. Sur le marché suisse, il n’y a pas de limite d’âge légal.»
La version précédente du même jeu (GTA 2), qui représentait les policiers abattus sous la forme de petites taches rouges, avait soulevé quelques vaguelettes d’indignation parmi les associations familiales françaises.
Rien de tel cette fois-ci, malgré une crudité de représentation nettement supérieur. «Ce jeu n’a pas suscité de débat particulier en France, explique Emmanuel Tramblais, de l’éditeur Take Two. Et il s’est immédiatement classé parmi les best-sellers. Normal, c’est un très bon jeu.» La version PC sortira dans le courant de l’été.
——–
Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 14 avril 2002 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.
Retrouvez Largeur.com chaque semaine dans la page Néoculture de