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Pétrole, la Suisse tournée vers l’international

Le pays possède une raffinerie mais dépend entièrement de l’étranger pour son approvisionnement en pétrole.

Malgré les revendications de la part de certains partis politiques et d’ONG en faveur d’un abandon de l’énergie fossile, la Suisse a toujours besoin de pétrole pour sa consommation énergétique. Selon l’Office fédéral de l’énergie, la moitié de l’énergie consommée l’est sous forme de combustibles pétroliers et de carburants. Puisque le pays ne possède aucun gisement de pétrole, il doit l’importer. L’or noir arrive soit sous sa forme brute, soit en tant que «produit fini». Ces derniers regroupent par exemple le diesel, l’essence ou les huiles de chauffage. En tout, la Suisse importe tous les ans environ 10 millions de tonnes de pétrole, dont environ deux tiers sous formes de produits finis.

D’où vient le pétrole? Dans sa forme brute, il provient de quatre pays: le Nigéria, le Kazakhstan, la Libye et l’Algérie. Quant aux produits finis, ils sont importés de pays de l’Union européenne, comme l’Allemagne, la France ou l’Italie. Pour arriver en Suisse, il prend des chemins variés. L’or noir est acheminé via des pipelines, notamment depuis Marseille. Il est ensuite transporté vers Cressier (NE), la seule raffinerie de Suisse, où il est transformé en combustible ou en carburant. Les produits finis importés, quant à eux, arrivent en Suisse majoritairement en train. Le reste est convoyé par pipeline, bateau ou camion.

L’origine du pétrole peut varier d’une année à l’autre, comme l’explique Robert Piller, professeur à la Haute école de gestion à Genève et ancien salarié de Vitol, l’une des principales sociétés de trading pétrolier au monde et propriétaire de la raffinerie de Cressier: «Le marché du pétrole se caractérise par des marges extrêmement faible, de l’ordre de 0,3%. Chaque économie est bon à prendre pour les sociétés actives dans ce secteur.» Ces variations concernent aussi les modes de transport: ainsi, entre 2017 et 2018, le transport fluvial de produits pétroliers vers la Suisse a chuté de 30% à cause de la sécheresse, obligeant les sociétés à se tourner vers d’autres modes de transport comme les chemins de fer.

Centre du négoce

Le marché se caractérise aussi par des fluctuations de prix importants. «Il s’agit d’un marché global où de nombreux intérêts s’interfèrent. Pour les acteurs du marché, il est quasiment impossible de prédire l’évolution des prix», explique Robert Piller. Le moindre incident géopolitique peut ainsi avoir des conséquences. En septembre dernier, par exemple, lorsqu’une milice soutenue par l’Iran a attaqué des sites pétroliers en Arabie-Saoudite, le prix du baril (159 litres) de pétrole a augmenté de 10% en un jour. Autre illustration de ce marché volatil: la valeur des produits pétroliers importés en Suisse entre 2013 et 2018 oscille entre 6,5 et 11 milliards de francs.

Dans un tel contexte, quel est l’intérêt pour Vitol de maintenir une raffinerie à Cressier – d’autant plus que celle de Collombey (VS) a dû arrêter ses services en 2015, faute de rentabilité? En effet, Vitol a racheté la raffinerie à la suite de la faillite de l’ancien propriétaire Petroplus en 2012. Selon Robert Piller, il s’agissait tout d’abord d’une bonne opportunité à cause du prix de rachat compétitif (environ 30 millions de francs). La société évoquait, de son côté, «un accès à du raffinage de niche de haute qualité ainsi qu’à une chaîne logistique de stockage». Par ailleurs, une partie des produits pétroliers produits dans la raffinerie de Cressier sont exportés. En tout, la Suisse vend environ 1 million de tonnes de produits pétroliers par an à l’étranger, notamment vers d’autres pays européens, selon Avenergy Suisse (anciennement Union Pétrolière).

La Suisse joue aussi un rôle majeur dans le négoce de pétrole. Selon l’organisme Public Eye, le pays «gère» environ 35% du marché mondial. Parmi les quelque 500 entreprises de négoce présentes en Suisse, environ 20% sont actives dans ce secteur, estime Nina Eggert de l’Association suisse de négoce de matières premières et du transport maritime (STSA). Robert Piller se montre toutefois plus prudent devant l’importance de la Suisse dans ce marché: «Il faut savoir que beaucoup de grandes sociétés du domaine ayant leur siège en Suisse, comme Vitol ou Glencore, ont leurs départements dédiés au négoce à Londres. On observe aussi un basculement de ce marché vers l’Asie ces dernières années.»

Par ailleurs, Daniel Schindler, porte-parole d’Avenergy Suisse ajoute que la réputation de la Suisse en tant que pays de négoce n’offre aucun avantage sur le marché du pétrole. «La demande suisse ne pèse pas assez à l’échelle internationale. Il faut comprendre que ses besoins annuels en pétrole ne représentent que 20 heures d’extraction.»

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Trois idées reçues sur le pétrole – et comment les rectifier

 «Les prix à la pompe dépendent du prix du pétrole»

Faux. Plus de la moitié du prix du carburant est composée de taxes. Une hausse du prix du baril ne se transforme pas automatiquement en hausse pour le consommateur – du moins pas à court terme.

«Les sociétés de négoce définissent le prix du pétrole»

Faux. Selon Robert Piller, les négociants s’intéressent uniquement aux différences de prix qu’il peut y avoir entre différents marchés. «Le marché est trop grand et trop volatil pour que les prix puissent être contrôlés.»

«Il n’y a bientôt plus de réserves en pétrole»

Faux. Il y a d’importants gisements de pétrole encore inexploités, comme le montrent les récentes découvertes en Alaska, au large du Royaume-Uni ou de l’Afrique du Sud. Sans oublier le pétrole de schiste, comme l’explique le professeur à la Haute école de gestion à Genève Robert Piller. «Cette nouvelle forme pétrolière vient tout juste d’être exploitée. Ainsi, la production des États-Unis dans ce domaine est passé de 5 millions de baril par jour en 2005 à 12 millions aujourd’hui.»

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Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans Entreprise Romande.