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L’ombre de la guillotine

L’UDC remet la compresse contre la libre-circulation, s’attirant les foudres aussi bien de la gauche morale et des Verts que des milieux économiques les plus ultralibéraux. Attention, ça chauffe sous les crânes.

À chacun sa guillotine. Si dans la France républicaine, on en est à la promettre au président en exercice, à la lueur de flambeaux rappelant méchamment les grandes heures de Nuremberg, dans la Suisse confédérale, on se la renvoie au visage à propos d’un sport en passe de devenir national: la votation sur fond d’immigration.

La faute évidemment à l’UDC, pas satisfaite de la loi d’application concoctée après l’acceptation d’une première initiative contre la libre circulation des personnes en 2014. La nouvelle initiative sur laquelle nous nous prononcerons en mai prochain, mais qui déjà agite les différents états-majors, n’est qu’une remise de compresse visant à forcer une application plus stricte du texte de 2014

Guillotine! s’écrient les adversaires de l’initiative, c’est-à-dire à peu près tout le monde, de la gauche la plus pourpre aux plus ultralibéraux des milieux économiques. Référence bien sûr à la fameuse «clause guillotine» qui voudrait qu’en cas de dénonciation, quel que soit le camps, d’un des accords bilatéraux péniblement signés entre la Suisse et l’Union européenne, ce serait la totalité des accords qui tomberaient automatiquement.

Or il semble bien que la nouvelle initiative de l’UDC obligerait la Suisse à dénoncer l’accord sur la libre circulation. Chose que son président Albert Rösti conteste. Selon lui un oui dans les urnes le 17 mai signifierait simplement que le Conseil fédéral aurait à renégocier ce fameux accord qui ne serait dénoncé qu’au bout du bout du processus de discussions, en cas d’échec. Même dans cette situation Albert Rösti, avec une certitude plus proche de la pensée magique que de la fine analyse rationnelle, juge «peu probable» que l’UE actionne la mortelle guillotine.

Parmi les opposants, economiesuisse considère, au contraire, une renégociation de l’accord sur la libre circulation comme une mission impossible pour le Conseil fédéral, l’Union européenne y étant d’autant moins disposée qu’elle s’apprête à se lancer dans une négociation similaire mais autrement ardue avec le Royaume-Uni. Pour economiesuisse l’usage de la clause guillotine ne fait aucun doute. Avec elle c’est tout l’édifice bilatéral qui s’écroulerait, causant notamment pour la Suisse la perte de son accès privilégié aux marchés européens et la rupture avec son principal partenaire économique, représentant 51% de ses exportations et 65% de ses importations. Bref, résume la directrice d’economiesuisse Monika Rühl, cette votation ne sera rien d’autre que «la mère de toutes les batailles».

Du côté des Verts, on estime que l’initiative de l’UDC, en mettant à mal la voie bilatérale, ne pénaliserait pas seulement les entreprises, mais aussi les efforts concertés en matière de protection climatique.

À ce stade, deux remarques pourraient être faites. D’abord que l’UDC doit certainement se réjouir de voir s’unir contre elle la gauche et l’économie: comme la plupart des partis souverainistes, elle soutient volontiers l’idée d’une sorte de complot mondial fomentée par une alliance entre la gauche morale et l’ultralibéralisme économique le plus décomplexé, pour favoriser, avec des motivations évidemment très diverses et opposées, une immigration la plus large possible.

Ensuite que s’agissant d’urgence climatique, chacun balaye avec ardeur devant la porte de l’adversaire. Les Verts proposent, par exemple, d’obliger la place financière à «décarboner» ses investissements, à tout miser sur les technologies durables. Dans le même temps, l’UDC déjà en campagne pour le 17 mai, ajoute à sa panoplie d’arguments habituels – les étrangers, c’est rien que des embêtements – un nouveau type de refrain obsessionnel: les étrangers, ça pollue. Comme le martèle l’inimitable Albert Rösti: «Je considère la migration comme le plus fort moteur du gaspillage des ressources, donc comme le principal amplificateur des émissions de CO2.» Sans parler des «dégâts infligés au sol par des constructions et des installations nécessaires pour accueillir les migrants».

Bref c’est comme si – mais ça on s’en doutait déjà un peu – le climat rendait chacun plus ou moins fou.