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LGBTIQ+, un marché sensible

Du sponsoring aux produits ciblant clairement les minorités sexuelles, les entreprises tentent de développer une approche plus inclusive. Avec le risque toutefois d’être accusée de faire du «pinkwashing».

«Betrue», c’est le nom des baskets arborant un arc-en-ciel lancées en 2017 par la marque Nike. Deux ans plus tard, le groupe Kellogg’s met sur le marché une édition limitée baptisée «All Together Cereal» avec les même objectif: cibler, avec des produits spécifiques, la communauté LGBTIQ+ – lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels, intersexes et queers.

Le sujet reste sensible et la mission pas facile: «Définir un marché véritablement spécifique à la communauté LGBTIQ+ est complexe car cette catégorie regroupe une importante diversité de profils, résume Lorena Parini, politiste et professeure associée au département d’études genre de l’Université de Genève. Il est donc difficile de cerner ce public-cible.»

La chercheuse évoque également deux types opposés de postures au sein de la communauté. «Certains consommateurs éprouvent le besoin de revendiquer leur appartenance et porteront volontiers des vêtements qui l’affichent, mais beaucoup ne cherchent pas cette affirmation dans l’espace public et se détourneront de ces produits.» L’autre écueil vient de la perception très opposée de ces campagnes au sein du public cible: la démarche peut donner l’image d’une marque tolérante, qui offre une visibilité à une communauté minoritaire. Mais elle peut aussi être perçue comme stigmatisante. «Imaginer qu’il puisse y avoir un marché spécifique suppose que cette catégorie de la population est différente, ce qui peut renforcer une forme de marginalisation», explique Lorena Parini.

Le risque du pinkwashing

Pour les marques, le sujet reste donc sensible et les campagnes risquées. En juin 2019, lors de la Geneva Pride, le soutien des entreprises telles que Procter & Gamble, UBS ou HSBC n’a pas toujours été bien perçu. Certains membres de la communauté ont accusé les grandes sociétés de faire du «pinkwashing», c’est-à-dire de financer l’événement pour se construire une image de tolérance. «Pour dissiper toute forme de méfiance, les entreprises sont tenues de faire preuve d’une politique inclusive qui s’inscrit au-delà de l’image qu’ils reflètent lors d’un événement comme la Pride, explique Etienne Francey, fondateur et directeur de l’agence de communication EtienneEtienne. Certains logos d’employeurs figuraient dans le défilé car une partie des employés, concernés par cette thématique, étaient présents, ce qui montre qu’un travail interne est fait au sein de ces entreprises pour plus de diversité et d’égalité.» Devant les accusations de «pinkwashing», la banque UBS s’est défendue en assurant qu’elle avait mis en place un environnement de travail ouvert à toutes les formes d’orientations sexuelles et d’expressions d’identité de genre. Dans le cadre de sa campagne «Betrue», le groupe Nike avait versé 3,6 millions de dollar à des associations supportant la cause LGBTIQ+.

Fin des clivages

Aujourd’hui, à l’image du magazine LGBT suisse 360°, c’est la lutte pour l’égalité et l’inclusion de toute personne, indépendamment de son orientation sexuelle, qui s’est imposée. Une tendance qui se ressent à travers l’hybridation des lieux de sortie. «Il est faux de penser qu’il y a un clivage entre des clubs, des restaurants ou des espaces culturels dédiés à la communauté LGBTIQ+ et au reste de la population», dit Philippe Scandolera, responsable de la publicité du magazine 360°. Sur son site internet, la revue propose une Gaymap qui répertorie 65 bars, restaurants ou autres associations estampillées gay-friendly à Genève. «Le développement d’application de rencontres a participé à la mixité des lieux de sortie, poursuit Philippe Scandolera. La drague peut se faire depuis n’importe où et les espaces de retrouvailles entre personnes gays, lesbiennes ou transsexuelles deviennent donc moins indispensables.»

Cette ouverture d’esprit intéresse de nombreuses entreprises, qui s’associent volontiers au magazine en y achetant des pages de publicité (qui représente 95% des revenus de l’éditeur). «Nos annonceurs ne sont pas du tout spécifiquement liés au milieu LGBTIQ+. Nous travaillons principalement avec des lieux culturels, mais aussi avec des magasins de vêtements ou même des banques.»

Afin de mettre en avant les entreprises véritablement soucieuses de la communauté LGBTIQ+, la Suisse s’est dotée d’un label, depuis 2018, accordé aux sociétés dont la politique encourage la diversité et l’inclusion. Le Swiss LGBTI Label garantit notamment que l’entreprise a établi une stratégie explicite en matière de diversité, qu’elle développe des projets en lien avec cette thématique et qu’elle adopte des mesures de protection contre les discriminations.