CULTURE

Dimitri from Paris, un dandy derrière les platines

Il a mis en musique l’atmosphère internationale de Playboy. Rencontre avec un DJ précurseur de la vague française à l’occasion de la sortie de son nouvel album.

Mauvaise soirée. Perché sur son petit promontoire, dominant la minuscule piste de danse d’un club zurichois, Dimitri from Paris enrage. Deux fois déjà qu’il a interrompu son set, agacé par les remarques incessantes de prétendues célébrités, venues lui demander de passer leur tube favori.

Engagé à prix d’or pour égayer le week-end de beautiful people totalement indifférents à la subtilité de ses enchaînements, le Parisien peut méditer à loisir sur le bonheur de mixer devant une foule de nightclubbers snobs et prétentieux.

Quelques heures plus tôt dans un salon de l’hôtel Widder, Dimitri from Paris s’en prenait aux clubs pour puristes, où le public scrute le travail du DJ comme un laborantin une analyse d’urine. L’univers de prédilection de ce fils d’intellectuels hippies, né à Istanbul, surfe entre les bars chics et les salons de rich & famous paresseux. Un monde décalé, bien dans la ligne de la galaxie Playboy avec qui le DJ s’est associé pour sortir des compilations élégantes et raffinées.

«Les gens du magazine m’ont approché lors de la dance convention qui a lieu chaque année à Miami. Ils voulaient rénover leur image. J’ai toujours adoré l’imagerie de Playboy, particulièrement dans les années 60-70. Le look du magazine a influencé une foule de graphistes, notamment de l’univers club français.»

À 38 ans, Dimitri from Paris compte parmi les précurseurs de la french touch. Quinze ans déjà qu’il hante les studios d’enregistrement. Dès le milieu des années 80, ce dandy des platines remixe les artistes à succès de la chanson française, reliftant pour les clubs les rengaines pop de Stéphanie de Monaco ou de Marc Lavoine.

Parallèlement à ses mandats alimentaires, Monsieur Dimitri se passionne pour la house américaine, s’entiche du son riche et groovy de New York. Mêlant les univers de Gainsbourg, des maîtres américains de la dance et l’humour surréaliste des films de la Panthère rose, le Parisien crée un paysage sonore qui passionne les artistes de la pop, comme Björk qui lui demande de remixer «Human Behaviour», tube de son premier album solo. Une collaboration qui attire l’attention des artistes internationaux.

«À l’époque, on m’appelait Dimitri, tout court. J’ai ajouté «from Paris» parce qu’il fallait me différencier des autres Dimitri, notamment du DJ du groupe Deee Lite. Le surnom m’a été donné par le portier d’un club new-yorkais. Une drag queen portoricaine qui ne trouvait pas mon nom sur la guest list. Et qui m’a lancé «Dimitri? But which Dimitri, Dimitri from Paris?» Elle avait trouvé le côté chic, un peu fashion qui collait bien à mon univers.»

«Je venais de coordonner la musique pour des défilés de mode. C’était parfait. Le nom m’a permis de développer tout un langage cohérent. À l’époque, le label français était plutôt mal vu, surtout dans le domaine musical, où l’Hexagone est longtemps resté un no man’s land.»

Plutôt que de miser sur l’anonymat, le Parisien décline tout un univers séduisant et cohérent. Celui d’une France vue à travers le prisme d’un regard américain, simpliste et réducteur. Pour les clips et le visuel de son premier album «Sacrebleu», il utilise l’Inspecteur Clouseau, du film «La Panthère Rose», la Tour Eiffel ainsi qu’un personnage très français moyen, portant camembert et baguette. Tous les clichés sont ainsi récupérés par le producteur et DJ. Avec succès.

L’album s’avère un grand succès international et Dimitri from Paris devient un véritable personnage de la dance music. Un cas rare dans ce monde adepte d’un comportement incognito. «Si j’ai mis en scène un personnage, c’est parce que j’ai su dès le départ de ma carrière qu’il fallait donner une image forte à ma musique. Parce que, vivant en France, il fallait apporter un plus, un habillage visuel pour être véritablement pris au sérieux à l’étranger. Chose qu’ont bien compris les représentants de la french touch.»

«Je n’ai jamais pensé à baser ma carrière sur le marché français. Les milieux musicaux de l’époque étaient de toute manière totalement réfractaires à la dance music.»

À l’image de Daft Punk ou de Air, Dimitri from Paris a soigné son concept, développant un personnage de DJ très coloré, de dandy des platines tout droit sorti d’un film d’Howard Hawks. «J’adore d’ailleurs le cinéma des années 50. Parce qu’il est rassembleur et intelligent. On a perdu la notion d’un art populaire et intelligent.»

«J’en ai marre d’entendre les patrons des médias dire avec cynisme que pour gonfler les caisses il faut donner de la merde aux gens. À les écouter, il y aurait d’un côté l’élite et de l’autre côté les beaufs. Je ne veux pas souscrire à cela. Et je ne suis pas le seul: le succès de mon album «Sacrebleu» l’a confirmé. On peut composer une musique élégante et rigolote sans que cela soit chiant ou putassier.»

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«After the Playboy Mansion», sélection de Dimitri from Paris. Virgin, distributeur EMI.